09/03/2021

Isolement et contention,
où est le débat ?

Dans une lettre ouverte à Olivier Véran, les représentants d’organisations professionnelles de psychiatres dénoncent le nouveau cadre de recours à l’isolement et à la contention en psychiatrie. Et ravivent deux débats : le recours à des mesures souvent regardées comme inhumaines et l’abandon du secteur.

Sur le fond, ils sont d’accord. Les psychiatres signataires de la lettre du le 24 février 2021 l’écrivent noir sur blanc : « En tant que représentants de la communauté psychiatriques, nous sommes pleinement en accord avec ce que dit l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020 (…) : “L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. » Mais ça, c’était déjà le cas depuis une loi de 2016. Ce qu’ils reprochent aux pouvoirs publics, c’est l’application de la loi et son projet de décret* selon des critères de durée et de renouvellement stricts, « impossibles en raison, notamment, des moyens actuels de la psychiatrie publique ». La loi prévoit pour l’isolement une période de douze heures renouvelables par tranche de douze heures jusqu’à quarante-huit heures et pour la contention, six heures, renouvelables par tranche de six heures dans un maximum de vingt-quatre heures. Au-delà, il y a obligation d’informer le juge des libertés et de la détention.

Nécessité d’une réflexion sur la contention

Le docteur Bernard Odier, président du conseil national professionnel de la psychiatrie, a cosigné ladite lettre. « Cette histoire de l’article 84 glissé dans la loi de financement de la Sécurité sociale, c’est une gesticulation du gouvernement, souffle le psychiatre. Un article qui est d’inspiration bureaucratique, prometteur de charges supplémentaires en matière de paperasse. Ce n’est pas ça qui va régler le problème du recours, probablement excessif, à l’isolement et à la contention. C’est forcément un travail beaucoup plus patient et minutieux. »
Patrick Estrade, infirmier en psychiatrie depuis 1981, estime que « les débats législatifs ne doivent pas occulter la réflexion à mener sur ce type de pratiques ». Il a vu revenir dans les établissements, au milieu des années 2000, ces mesures et en a été heurté, comme d’autres.
Ce qui se passe aujourd’hui continue de révolter André Bitton. Ancien psychiatrisé, il milite depuis trente ans pour les droits des patients, notamment au sein du CRPA, le cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie. C’est grâce à l’intervention d’usagers comme lui auprès du législateur que la réglementation a évolué ces dernières années : « C’est la bestialisation du patient. La contention devrait être abolie. L’isolement fortement contingenté et encadré. »
« Le vrai débat, ce sont les conditions à réunir pour abolir la pratique, appuie Olivia, d’Humapsy, une autre association de patients. Une psychiatrie vécue comme une menace qui plane, comme quelque chose de punitif, ne peut pas soigner. »

Une organisation des soins repensée

Et c’est là le travail de Loïc Rohr*. Infirmier-chercheur, il exerce au centre hospitalier Saint-Cyr au Mont-d’Or. En équipe, dans son unité, il a opéré des changements organisationnels pour « redéployer du temps infirmier au plus proche du patient. Aller le rencontrer avant qu’il ne vienne toquer la porte. C’est tout bête, mais ça commence par ouvrir les portes. On est passé d’un service fermé à un service ouvert ». Le vocabulaire aussi a son importance. « On avait un cadre de soin. Ce “cadre de soins” rassemblait tout ce qui est restriction de liberté : visites, sorties, appels, habits, affaires personnelles. On a appelé un chat un chat, ce sont des mesures de restrictions de libertés. Ça a permis, dans un changement de culture du soin, de réduire les situations de tensions, de violence, et donc de 70 % le recours à ces mesures** ! »

Choix de l’ambulatoire

Chez le docteur Coline Groulez***, praticienne à Lille, il n’y a pas eu une seule contention en 2020. Son unité est particulière. L’équipe a tout misé sur l’ambulatoire. « Sur un secteur de 85 000 habitants, nous avons 3 000 patients sur notre file active, dix lits d’hospitalisation, pas de chambre d’isolement, affirme-t-elle. On a deux équipes mobiles de soignants. Une qui va plutôt accompagner les personnes long cours, avec des troubles sévères, qu’on essaye de maintenir à domicile. Ça nous permet d’éviter des ruptures de soins, des décompensations. L’autre, c’est une équipe de crise. Elle accompagne pendant deux-trois semaines toute sorte de pathologie. Une fois la crise apaisée, on propose la suite des soins intensifs à domicile. Avec un suivi quotidien. » L’architecture du lieu aussi a été pensée pour une libre circulation des personnes. Elle le sait, c’est faisable, la psychiatrie peut se passer de l’isolement et de la contention. « Mais c’est compliqué de changer les choses sans prendre le problème à la base. Plutôt que de l’administratif, il faut insuffler certaines pratiques dans la formation. » Ce problème de formation, Loïc Rohr le pointe dans ces travaux. « 94 % des contenus psychiatriques ont été supprimés des formations infirmières, critique-t-il. Avec la perte de formation en psychiatrie, l’infirmier a peur d’aller au contact du patient et s’isole. »
Tous s’accordent sur un point : la gravité de l’état de leur secteur, l’abandon de la psychiatrie. Et le manque de considération pour la singularité de la discipline : « La psychiatrie ne peut pas être sommée d’être une spécialité médicale comme les autres. »
Pour l’heure, pas de réponse du gouvernement.

Thomas Laborde

* Lire l’interview de Loïc Rohr dans L’Infirmièr.e n° 7, avril 2021.

** Article 84 la loi de financement de la Sécurité sociale et son décret d’application.

*** Son service dispose de huit postes de psychiatre mais seuls quatre sont pourvus en ce moment, du fait de difficultés à recruter. Pour toute information : cgroulez@epsm-lm.fr

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