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19/05/2021

Ehpad : « La clef réside dans
la mise en place d’une culture
de l’accompagnement »

Le récent rapport de la Défenseure des droits, rendu public début mai, met en exergue les difficultés pour faire respecter les droits fondamentaux des personnes âgées dans les Ehpad. Quels enseignements tirer plus largement de la crise ? Le point avec le philosophe Fabrice Gzil*.

Dans son rapport, la Défenseure des droits Claire Hédon pointe la nécessité de mettre en place un ratio minimal de personnels travaillant en Ehpad en fonction du niveau d’autonomie et des soins requis des résidents. Qu’en pensez-vous ?

Il y a un consensus sur le fait qu’il s’agisse d’un sujet central et urgent. Avant le rapport de la Défenseure des droits, les rapports Libault et El Khomri, et plusieurs rapports parlementaires, en ont également fait état. Bien entendu, la qualité de l’accompagnement et son individualisation dépendent du nombre de soignants et du temps dont ils disposent. Il n’est pas possible de dissocier la réflexion sur la qualité éthique de l’accompagnement de la question des moyens.

Les difficultés de fonctionnement au sein des Ehpad et le manque de moyens dédiés sont depuis longtemps pointés du doigt. Pourquoi les pouvoirs publics ne prennent-ils pas les décisions qui s’imposent ?

Il est difficile de le savoir, mais dans tous les cas, le danger serait d’opposer les générations. Durant cette crise, on a beaucoup entendu dire que les jeunes générations avaient été sacrifiées au profit des plus âgées. L’impact sur les jeunes a été terrible. Mais je ne suis pas sûr que les personnes âgées seraient d’accord pour dire qu’elles ont vécu des moments très heureux pendant l’année écoulée. Dans les situations de crise, il est commun de chercher un bouc émissaire et là, il était tout désigné. Le grand risque est donc de créer une fracture au sein de la société sur les axes intergénérationnels alors que jusqu’à présent, les solidarités entre les générations participaient de la cohésion de notre société, par ailleurs très fracturée. Peut-être faut-il intégrer la réforme du grand âge dans une approche plus globale, dans une perspective de vie entière. Ce serait peut-être plus audible et ferait davantage sens qu’une politique sectorisée.

Sur quoi repose la qualité éthique de l’accompagnement en Ehpad ?

Dans le cadre de la mission que m’a confiée Brigitte Bourguignon, j’ai mené une enquête nationale auprès des professionnels des établissements accompagnant des personnes âgées. Plus de 1 800 personnes y ont répondu. Cette enquête montre que le secteur de la gérontologie est porteur de valeurs très fortes, mais la crise et les mesures prises pour lutter contre l’épidémie sont allées à rebours de cette culture éthique, qui implique le respect des libertés et du consentement, l’individualisation de la prise en charge, une vision globale de la santé, des établissements ouverts sur l’extérieur, un rôle et une place pour les familles… Avant la crise déjà, les équipes ressentaient un écart entre l’accompagnement qu’elles souhaitaient proposer et ce qu’elles pouvaient effectivement offrir aux résidents. La pandémie a accentué cet écart. Il y a donc des enjeux de moyens et de formation. Mais je suis convaincu que la clef réside également dans la mise en place d’une culture de l’accompagnement, avec des valeurs claires, fortes et partagées par tous.

Comment les équipes ont-elles vécu leur responsabilité vis-à-vis des résidents pendant la crise ?

Les équipes se sentent responsables moralement des personnes accueillies, qui sont pour la plupart très vulnérables. Elles ont également une très lourde responsabilité éthique : essayer de concilier, dans un contexte particulièrement anxiogène, incertain et changeant, la sécurité des résidents et leurs libertés : liberté de choix, liberté de déplacement, droit à une vie sociale et familiale… Ces arbitrages sont particulièrement délicats car ils supposent, comme l’a rappelé avec force le membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), de faire preuve de discernement et de mettre en œuvre des mesures individualisées et proportionnées.

Quelles leçons en tirer pour l’avenir ?

Il serait important de se doter d’instances ou de mécanismes permettant une collégialité renforcée pour ce type d’arbitrages, incluant le directeur de l’établissement, les équipes, mais aussi les familles, les résidents et les partenaires.

Je pense aussi qu’il faut arrêter d’opposer sécurité et liberté, arrêter de se demander « où placer le curseur » entre sécurité et liberté. Il faut réduire au maximum les restrictions de liberté et essayer de concilier sécurité et liberté, de mettre une sécurité renforcée au service d’une plus grande liberté.

Enfin, peut-être faudrait-il envisager des partages d’expériences, des échanges de pratiques pour enrichir les points de vue et les solutions adoptées par chacun.

Propos recueillis par Laure Martin

* Également responsable du pôle réseau et observatoire à l’Espace éthique Île-de-France, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et auteur d’un document repère « Pendant la pandémie et après : quelle éthique dans les établissements accueillant des citoyens âgés ? », remis début février à Brigitte Bourguignon, ministre en charge de l’Autonomie.

Les dernières réactions

  • 21/05/2021 à 22:11
    Camille
    alerter

    Pourquoi ne pas retravailler sur les projets de vie culturels et sociaux des résidents pour éviter les ruptures sociales lors de leur entrée en Hepad ..D'autre des études ont été realisées sur la valorisations de l'exercice auprès des personnes âgées en Hepad ou à domicile ..(2005) mais non suivi d'effet...
    Ex conseillère technique en soins infirmiers Ile de France

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