© Carole Bethuel
Le 25 février Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante, a reçu le César de la « meilleure actrice dans un second rôle » grâce à sa performance dans « la Fracture » de Catherine Corsini. Espaceinfirmier.fr lui avait consacré un article, à redécouvrir.
Être propulsée sous les projecteurs. L’expression est toute trouvée pour Aïssatou Diallo Sagna. Il y a un an, elle était aide-soignante. Aujourd’hui, elle est aussi actrice. Sans n’avoir jamais pris un seul cours de théâtre, sans n’avoir ni même jamais rêvé de jouer ou de fréquenter le milieu.
À 38 ans, cette mère de trois enfants est l’une des protagonistes du film La Fracture. Un Gilet jaune joué par Pio Marmaï blessé par un Flash-Ball en manifestation et une dessinatrice de BD bourgeoise tombée sur l’épaule se croisent aux urgences d’un hôpital parisien. Tant bien que mal, Kim, infirmière, tente de maintenir le calme et de passer d’un patient à l’autre sans oublier personne, sans se laisser submerger par la tension de cette nuit agitée. Elle garde son calme, cette grande femme à la peau noire, au visage rond et aux longues dreadlocks. Ce calme, il habite la nouvelle actrice au quotidien. La voix posée, elle admet être toujours étonnée d’avoir cette capacité à jouer : « J’espérais juste faire un peu de figuration au départ, je suis assez réservée. Mais il s’est passé quelque chose. À tel point que Catherine Corsini [la réalisatrice, ndlr] m’a dit à un moment qu’elle envisageait de me confier ce rôle d’infirmière destiné, à l’origine, à une actrice professionnelle. »
Casting sauvageD’abord agent des services hospitaliers à l’hôpital Saint-Joseph de Paris depuis 2004, après un BEP carrière sanitaire et sociale et un bac sciences médico-sociales, Aïssatou Diallo Sagna devient aide-soignante en 2013 et découvre les urgences. « J’avais peur de ne pas être à la hauteur mais je suis tombée amoureuse, lance-t-elle. L’adrénaline, un bon déchoc’ qui arrive où on est un collectif, on est ensemble, ça roule sans qu’on se parle… J’y suis restée sept ans. »
Ce sont ses collègues d’alors qui lui transmettent une annonce. Ils veulent participer ensemble à un casting sauvage ouvert au personnel médical et paramédical sans aucune expérience de jeu, aide-soignant, infirmier, brancardier, tout le panel représenté, pour un film. « Le jour J, certains se déballonnent, d’autres sont empêchés. J’ai hésité mais j’y suis quand même allée. Puis j’ai été rappelée, on a eu plusieurs rendez-vous, j’ai fait des tests, j’ai rencontré l’équipe et c’était parti ! »
Souci de véracitéCe qui la séduit, comme ses collègues embauchés, c’est le fait d’être en permanence consultée. « Ce souci de véracité tenait à cœur à la réalisatrice qui nous posait sans cesse des questions », souligne Aïssatou Diallo Sagna. Les tenues, les gestes, tout est reproduit avec la plus grande exactitude possible. « Il y a une scène où un homme est en détresse respiratoire. Initialement, il y avait un scope à côté. Mais les données au niveau des constantes étaient correctes ! C’était incohérent avec l’état du personnage. Et impossible de changer les données. Alors, le scope a été retiré. »
Aujourd’hui, l’aide-soignante exerce au sein de l’unité médicochirurgicale de garde de l’hôpital des Peupliers, à Paris. Si elle a joué le rôle d’une infirmière, elle n’a pas, pour l’instant, l’envie d’en devenir une. Mais le désir d’évoluer dans son métier est encore plus ardent. Comme celui de jouer des rôles dans des univers différents du sien. Ne jamais fermer aucune porte, voilà bien sa ligne de conduite.
Thomas Laborde
La Fracture, de Catherine Corsini, 1 h 40, avec Aïssatou Diallo Sagna, Pio Marmaï, Marina Foïs, Valeria Bruni Tedeschi…
Chronique parue dans L’Infirmièr.e n° 13, octobre 2021
La fracture, c’est cet os qui casse, cette existence qui se fragilise, ce système qui se fissure. Quand les luttes se rencontrent, s’amoncellent, c’est l’explosion. La fracture. Deux femmes, dont l’une a chuté, en couple depuis des années, au bord de la rupture, rencontrent dans un service d’urgences parisien saturé un gilet jaune qui a été grièvement blessé lors d’une manifestation. Elles (Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs), tendance bourgeoise affirmée, assumée, lui (Pio Marmaï), jeune quadra qui vit chez sa mère, routier intérimaire, en colère. Autour d’eux, des soignants qui courent depuis plusieurs nuits, à bout de souffle, dans un hôpital décrépi. Et d’autres patients qui se retrouvent là parce que le service censé les accueillir a dû être fermé… La Fracture, c’est le récit d’une nuit où plus rien ne tient, où après des mois de fébrilité, tout se casse la gueule. La réalisatrice relève des situations si aberrantes que l’on en rit, si vraisemblables que l’on en crie. L’aide-soignante Aïssatou Diallo Sagna porte en partie ce film à travers le rôle de l’infirmière Kim. Et fait preuve d’une poigne sans égal en tant qu’actrice, qu’on lui devine quotidienne, en tant que soignante. Une radiographie stupéfiante. Thomas Laborde