Si nombre d’observateurs ont publiquement regretté le peu de place fait aux mesures de santé publique dans le projet de loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), ces mesures existent néanmoins au Titre III du texte. Elles concernent notamment la lutte contre l’alcoolisation des jeunes.
Les deux mesures phares à cet égard, sont d’une part l’interdiction de la vente d’alcool au forfait et d’autre part l’interdiction totale de la vente d’alcool aux mineurs. Les députés ont en effet adopté jeudi 5 mars un amendement de la commission économique de l’Assemblée nationale qui interdit « d’offrir gratuitement à volonté des boissons alcooliques dans un but commercial ou de les vendre à titre principal contre une somme forfaitaire », sauf « dans le cadre de fêtes et foires traditionnelles » ou de « dégustations ».
Fini les open-bars
Plébiscités par les jeunes en raison de leur coût de revient modéré au regard de la quantité d’alcool consommée, les fameux open-bars, qui consistent à avoir accès à une quantité d’alcool illimitée moyennant une somme forfaitaire, tomberaient donc sous le coup de la loi.
L’interdiction de la vente d’alcool aux moins de 18 ans, figure à l’article 23 du projet de loi, adopté sans modification lundi soir. « La vente des boissons alcooliques à des mineurs est interdite. L’offre de ces boissons à titre gratuit à des mineurs est également interdite dans les débits de boissons et tous commerces ou lieux publics. La personne qui délivre la boisson peut exiger du client qu’il établisse la preuve de sa majorité », stipule l’article. Les débiteurs d’alcool contrevenants seront punis d’une amende de 7.500 euros. Plusieurs récidives sur une période de cinq ans exposeront à un an d’emprisonnement, 15.000 euros d’amende et un retrait de licence de vente de boissons alcoolisées.
Rappelons qu’actuellement, la vente d’alcool n’est interdite qu’aux moins de 16 ans et la vente à consommer sur place est interdite aux 16-18 ans seulement pour les alcools les plus fort, à l’exclusion du vin et de la bière, entre autres.
"Attention au déplacement du symptôme"
Pour le Dr Marie Choquet, épidémiologiste et directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), cette interdiction « ne résoudra pas le problème en soi ».
« On peut interdire, mais ce n’est pas une solution s’il n’y a pas une prise en charge ou des soins à côté », a-t-elle déclaré jeudi lors d’une présentation conjointe de l’Inserm et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), intitulée « Les jeunes et l’alcool »*. « Je crains l’inefficacité », a-t-elle ajouté.
Le Dr Philippe Michaud, médecin addictologue et directeur de l’Institut de promotion de la prévention secondaire en addictologie (Ippsa), aurait pour sa part « préféré qu’on augmente les prix pour réduire l’accessibilité » car, explique-t-il, les études montrent que c’est plus efficace et « cela aurait été une source de financement pour les centres d’addictologie ».
« L’épidémiologiste que je suis se réjouit », a quant à lui commenté Jean-Pascal Assailly, psychologue amené à travailler sur la problématique de l’alcool dans le cadre de ses recherches pour l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets). « Mais le psychologue en moi dit ‘attention au déplacement du symptôme vers le cannabis ou d’autres formes de prises de risques'. Je ne suis pas sûr qu’on y gagne au final en terme de santé publique."
Gare à l'arrivée de la pub pour l'alcool sur Internet
Une autre disposition adoptée par les députés pourrait bien venir brouiller le message du projet de loi dans l’esprit des jeunes. En effet, les députés ont voté lundi l’autorisation de la publicité pour l’alcool sur Internet, média des jeunes s’il en est. Les rédacteurs de l’article additionnel portant cette disposition ont bien essayé d’introduire quelques gardes-fous censés protéger les jeunes, mais leur peine est perdue d’avance tant les barrières sont au pire inexistantes, au mieux contournables sur Internet.
L’article prévoit ainsi que la publicité pour l’alcool soit autorisée « sur les services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive (comme les pop-up, NDLR), ni interstitielle ».
La ministre de la Santé Roselyne Bachelot a soutenu cette rédaction au motif qu’elle permet selon elle de « concilier les deux exigences » : la prévention et les contraintes économiques des alcooliers.
Interrogé sur la contradiction qu’on ne peut manquer de voir entre cette disposition et les précédentes, coercitives, le psychologue Jean-Pascal Assailly l’a qualifiée d’ « absurde ». « Les adolescents sont très sensibles aux incohérences », a-t-il observé. « Celles des adultes, mais aussi celles des lois et ils en tireront les conclusions. Il faut être cohérent. »
Les députés, qui ont achevé l’examen du projet de loi HPST mercredi après un marathon de plus de trois semaines, passent désormais le relai aux sénateurs qui devraient disposer d’une quinzaine de jours de débats en mai. Notons que, dans le cadre de la procédure d’urgence, ce texte ne sera examiné qu’une seule fois par chacune des deux chambres parlementaires.
C. A.
* Le jeudi 12 mars 2009, dans le cadre du Medec, au Palais des Congrès de Paris. Toutes les citations qui suivent ont été recueillies au cours de cette même présentation.