« Pour qu’un patient s’exprime, encore faut-il lui rendre possible l’expression. » Cette affirmation qui relève du truisme, c’est Eliane Ferragut, éminente psychiatre et psychanalyste, responsable de l’unité de soins somatiques et de psychopathologie de la douleur au CHU de Montpellier, qui l’a prononcée, lors de la 3e Journée nationale Douleur et santé mentale organisée à Paris le 10 décembre.
S’il peut y avoir une dimension hallucinatoire de la douleur, chez des patients psychotiques par exemple, cela ne doit pas empêcher les soignants de s’y intéresser et de recevoir la plainte du patient avec la même empathie et le même souci de le soulager que pour tout autre douleur.
Peu importe que la douleur physique puisse être l’expression somatique d’une souffrance psychique, « il faut être bien persuadé que le malade ressent cette douleur dans son corps et se sent donc très mal », insiste Eliane Ferragut. Face à de tels cas, trop de soignants sont encore tentés de lancer : « C’est dans la tête ! », aux patients en détresse. Or, « si quelqu’un souffre atrocement et qu’on lui dit ‘vous n’avez rien', c’est insupportable », martèle la psychiatre.
Rôle protecteur
Et d’évoquer le « rôle protecteur » que revêt parfois la douleur. « Dans certains cas, la douleur est un équivalent d’automutilation à visée anxiolytique », explique-t-elle, en évoquant l’un de ses patients qui, pris de crises d’angoisse d’anéantissement, se scalpait le cuir chevelu au rasoir. « La sensation physique de la douleur stoppait net l’impression d’anéantissement et cela le soulageait immédiatement. »
Dans les psychalgies (douleurs d’origine psychiques), poursuit Eliane Ferragut, « plus on tente de faire disparaître le symptôme, plus le mal augmente ». D’où l’absolue nécessité de respecter la loi qui veut que tout patient se rendant à une consultation douleur fasse l’objet d’un bilan psychologique. « Je vois encore arriver des malades psychotiques non bilantés au niveau psychologique, mais sous morphine depuis des mois », déplore-t-elle.
Arbre généalogique
Les antécédents peuvent se révéler très instructifs à l’heure de cerner la nature d’une douleur. Mais il faut se donner la peine de les mettre en lumière, en interrogeant le patient, son entourage. Y a-t-il eu maltraitance, carences affectives, abus sexuels, séparations fréquentes, événements traumatiques, secrets de famille ? Faire l’arbre généalogique de la personne peut donner des pistes, suggère Eliane Ferragut. L’une de ses patientes à qui elle avait proposé cet exercice, avait matérialisé les morts de sa famille par une croix. Une fois l’arbre achevé, elle avait eu une vue d’ensemble et s’était exclamée : « Je ne m’en étais jamais rendu compte, mais je vis dans un cimetière ! »
C. A.