L'audition d’experts a permis la mise au point de critères précis d’aide au diagnostic et de recommandations en matière de signalement du syndrome du bébé secoué. Les professionnels de santé ont un rôle déterminant à jouer pour améliorer la prise en charge et la prévention de ce geste maltraitant aux conséquences dramatiques.
Quelque 200 syndromes de bébé secoués (1) recensés chaque année en France, mais sans doute bien plus en réalité. C’est pour lutter contre ce geste aux conséquences gravissimes, parfois mortelles, souvent irréversibles, que la Société française de médecine et de réadaptation (Sofmer), avec le concours de la Haute Autorité de santé (HAS), a organisé une audition publique d’experts (2), dont les conclusions ont abouti à la publication de recommandations tout particulièrement adressées aux professionnels de santé.
Cette démarche poursuivait deux objectifs, a expliqué le Dr Cédric Grouchka, de la HAS, lors de la présentation des travaux de la commission d’audition (3) et des recommandations qui en ont découlé, mardi 13 septembre. Il s’agissait d’une part d « améliorer la prise en charge » des victimes en aidant les professionnels « à faire le diagnostic », mais aussi, en amont, d’agir sur le volet prévention, « pour que ça n’arrive pas », a complété Cédric Grouchka.
Plus de garçons chez les secoueurs et les victimes
Les données disponibles montrent que le bébé secoué est plus souvent de sexe masculin, a observé le Dr Mireille Nathanson, pédiatre à Bondy et coprésidente de la commission d’audition, de même que l’adulte secoueur, un homme dans 70% des cas, le plus souvent père ou le beau-père de l’enfant. Elles montrent aussi que les adultes qui amènent le nourrisson aux urgences n’admettent quasiment jamais le geste incriminé, les aveux intervenant massivement pendant les interrogatoires judiciaires ou de police le cas échéant. Pour établir les critères diagnostiques, a expliqué le Dr Grouchka, il a donc fallu comparer les lésions provoquées par les situations le plus souvent citées par les adultes secoueurs pour se couvrir -ils invoquent une chute accidentelle, un choc involontaire contre la paroi de la baignoire ou les barreaux du lit, un jeu un peu musclé comme celui de "l’avion" ou encore des gestes de réanimation maladroits…- à celles que présente un bébé effectivement secoué.
Les signes qui doivent alerter et faire penser au syndrome du bébé secoué sont la convulsion, le coma, l’apnée sévère, ou encore la diminution des compétences (l’enfant tenait sa tête ou tenait assis et il ne le fait plus, il avait un bon contact avec ses parents et il interagit moins avec eux) ou encore les vomissements, a énuméré Mireille Nathanson. L’apnée sévère étant un facteur « discriminant entre un traumatisme crânien accidentel et un trauma infligé », a-t-elle précisé. « Il n’y a rien de plus banal en pédiatrie que le vomissement, mais on recherche des associations de symptômes », a-t-elle ajouté.
Hospitalisation en cas de soupçon
Pour collecter les informations cliniques, un examen complet du bébé, entièrement dénudé, s’impose, en portant une attention particulière à la fontanelle et au périmètre crânien, dont il est « fondamental » de reporter le chiffre sur la courbe du carnet de santé, a insisté le Dr Nathanson. On recherche également des ecchymoses sur le thorax, le cuir chevelu.
Le dialogue avec l’entourage ne doit pas être négligé : on l’interroge sur ce qui s’est passé, et sur le moment précis de l’apparition des symptômes. « On note souvent un délai de consultation », a observé Mireille Nathanson, ainsi que des explications incohérentes ou variables selon l’interlocuteur, voire tout à fait incompatibles avec l’âge de l’enfant comme « il a dû se cogner contre les barreaux de son lit », à propos d’un nourrisson de deux mois…
Au moindre soupçon de secouement, il est recommandé d’hospitaliser immédiatement le bébé « pour le mettre à l’abri et pratiquer les examens (scanner, IRM) à la recherche d’hémorragies à l’intérieur de la tête et rétiniennes », d’où l’importance d’avoir très rapidement accès à un ophtalmologue capable de pratiquer un fond de l’œil sur un nourrisson, a insisté le Dr Nathanson.
Une fois le diagnostic posé, et en fonction du degré de probabilité de celui-ci (4), se pose la question des suites à donner. Si un signalement n’est jamais anodin et peut avoir des suites judiciaires lourdes, a rappelé Fabienne Quiriau, directrice de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape) et coprésidente de la commission d’audition, cette question est fondamentale car elle conditionne l’éventuelle indemnisation de l’enfant victime. Or la rareté de l’indemnisation en matière de bébés secoués interpelle, comme l’a noté le Dr Anne Laurent-Vannier (5), médecin physique et de réadaptation à l'hôpital Saint-Maurice et présidente du comité d'organisation de l'audition publique : seulement 246 dossiers d’indemnisation ont été ouverts en 20 ans, soit à peine plus que le nombre de syndromes recensés… chaque année.
Signalement ou information préoccupante
En fonction du degré de probabilité du diagnostic, la commission a dégagé deux hypothèses aux recommandations différentes. Si le secouement est hautement probable, voire certain ou probable, il faut signaler au Parquet et veiller à mettre l’enfant à l’abri pour empêcher la récidive en saisissant le Procureur de la République d’une mesure de sauvegarde à titre provisoire, « ce qui ne préjuge pas de la suite judiciaire », a indiqué Fabienne Quiriau. Ces démarches doivent se faire en concertation entre médecins, à partir d’une évaluation pluridisciplinaire impliquant également des non soignants, préconise la commission. En cas de secouement possible, il est recommandé d’adresser une information préoccupante à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip), créée par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, la saisine de la Crip ouvrant la voie à une évaluation médico-sociale complémentaire.
Côté prévention, la commission suggère aux pouvoirs publics d’organiser une information systématique des parents en périnatal, le moment idoine étant probablement à J+3 après la naissance, au moment où le père vient chercher la maman et le nouveau-né à la maternité. Il s’agit alors de mettre en garde les parents contre les conséquences du secouement, ce « geste incontrôlé de colère », assimilable au regard de la loi à une « véritable maltraitance », a relèvé le Dr Grouchka. Paradoxalement, la prévention, passe par une déculpabilisation des parents : « être exaspéré par un enfant qui hurle, c’est normal, il ne faut pas s’en vouloir », a affirmé Cédric Grouchka. « En revanche, il faut savoir dire stop, faire une pause avant d’être à bout, appeler à l’aide. Si on est seul, il faut le coucher sur le dos et sortir faire un tour. » Beaucoup ne savent pas combien « c’est grave, bien plus grave que defaire tomber l’enfant de la table à langer », a-t-il observé.
Cécile Almendros
1 – Le syndrome du bébé secoué (SBS) est un sous-ensemble des traumatismes crâniens infligés (TCI) ou non accidentels, dans lequel c’est le secouement (seul ou associé à un impact) qui provoque le TCI. Il survient le plus souvent chez un nourrisson de moins de un an (âge médian : 5 mois).
2 - Douze en tout : pédiatres, neurochirurgiens, radiologue, ophtalmologiste, médecin légiste, magistrats, professeur de mécanique.
3 - La commission d’audition, composée d’une vingtaine de membres aux professions très variées (médecine, associatif, social, gendarmerie, journalisme, justice, police), intégrait une infirmière puéricultrice de Saint-Etienne, Isabelle Gagnaire.
4 – La commission d’audition a défini quatre degrés de fiabilité diagnostique : hautement probable, voire certain ; probable ; possible ; écarté.
5 - Coordinatrice du diplôme interuniversitaire Traumatisme crânien de l’enfant et de l’adolescent Syndrome du Bébé Secoué (Université Paris VI : UFR Saint Antoine, Université Paris V : UFR Necker Enfants Malades, Université Aix Marseille III : Faculté de Droit d’Aix en Provence). Ce DIU est ouvert aux paramédicaux.