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14/04/2022

Camille Dumortier : « La maltraitance, c’est de ne pas accorder le temps nécessaire aux patientes » 

Depuis des mois, les sages-femmes font parler d’elles : appels à la grève, manifestations… La profession, qui n’attire plus autant, semble à bout de souffle. Camille Dumortier, sage-femme hospitalière au CHU de Nancy et présidente de l’ONSSF, nous explique les causes de ce malaise.

Comment expliquez-vous le mal-être de la profession de sage-femme ?

Le problème de base est que personne ne connaît notre profession ! Dans l’imaginaire collectif, la sage-femme est une spécialité, comme les Iade, les Ibode ou les puéricultrices, mais cela n’a rien à voir, tant au niveau de la formation initiale et continue qu’en matière de responsabilités. En fait, nous sommes autonomes dans le champ de la physiologie et nous collaborons avec les médecins en cas de pathologie. Les sages-femmes sont des prescripteurs. Au même titre qu’un médecin, nous pouvons décider de l’hospitalisation d’une patiente ou de sa sortie de la maternité. On a tendance à réduire notre rôle à l’accouchement or, cet acte ne représente qu’une petite facette de notre journée de travail. Par exemple, sur mes dernières 12 heures de garde, l’accouchement m’a occupée 2 heures, et le reste a été dédié au suivi gynécologique, à l’anténatal, au postnatal et à l’administratif. Ce dernier a d’ailleurs pris une ampleur considérable. Lorsque j’ai commencé à exercer, en 1999, une étude à laquelle j’avais participé avait révélé que 15 heures étaient consacrées à l’administratif, la gestion du matériel, le rangement du stock, la décontamination… et seulement 9 heures aux patientes. C’était déjà une prise de conscience douloureuse et je n’ose pas imaginer ce qu’une enquête de la sorte donnerait à l’heure actuelle !

Effectifs, salaire… la profession souffre-t-elle comme les infirmières d’un manque d’attractivité ?

Nous sommes en sous-effectifs permanents, ce qui conduit à un important turnover et à des situations de burn-out. Nombreuses sont les sages-femmes qui se reconvertissent pour une meilleure qualité de vie au travail, et cela explique aussi que la moyenne de la profession est assez jeune, autour de 40 ans. Actuellement, on déplore environ 1 000 postes vacants en établissements de santé, et de leur côté, les sages-femmes libérales peinent à se faire remplacer. Il faudrait au moins 3 000 sages-femmes de plus pour offrir une référente à chaque grossesse. On estime que la moitié des femmes n’ont pas de suivi gynécologique adapté.

Et bien sûr, nous aimerions un salaire à la hauteur de nos responsabilités, tout simplement ! Nous avons obtenu 500 euros de revalorisation récemment – je ne les ai toujours pas vus sur ma fiche de paie –, c’est dire combien on était mal payées. Mais même avec cette augmentation, notre salaire équivaut à celui d’un bac+3,5 ou bac+4, pas plus. En libéral, le revenu moyen est encore moindre, à peu près de 30 000 euros par an. Dès la formation, les étudiants ont tout intérêt à se tourner vers l’odontologie. À nombre d’années de formation égales, au bout de 6 ans d’études, un dentiste gagnera bien mieux sa vie qu’une sage-femme. C’est d’autant plus injuste qu’en 5 ans d’études de maïeutique, nous enregistrons 1 175 heures de plus que la formation de dentiste. Comment en est-on arrivés là ? Depuis 2001, les étudiants suivent une première année d’études communes de santé, suivie de 4 ans en école de sage-femme ou en institut de formation en maïeutique. En 2009, la compétence en gynécologie a été ajoutée, sans que le cursus soit allongé. Idem en 2016, avec l’ajout de l’IVG médicamenteuse. À la rentrée 2023, notre cursus passera à 6 ans, avec toujours une année commune de médecine puis 5 ans en université de maïeutique si l’intégration universitaire parvient à son aboutissement.

En février dernier, vous avez cosigné une tribune collective* publiée dans le magazine Le Point, titrée : « Maltraitances en maternité : refondons le monde de la naissance ». Qu’entendez-vous par maltraitance ?

La maltraitance, c’est de ne pas accorder le temps nécessaire aux patientes, d’être obligé de délaisser l’aspect humain de notre travail pour assurer la partie technique. Les maternités souffrent d’un manque d’effectifs dans toutes les spécialités et cela nous conduit à vivre des situations anormales, où une patiente doit attendre 2 heures pour la pose d’une péridurale ou renoncer à un complément alors que sa péridurale n’est pas assez efficace. Or, on sait qu’un accouchement mal vécu constitue un gros facteur de risque de dépression du postpartum. Parfois, un accouchement difficile sera très bien vécu si la patiente est bien accompagnée, et inversement, un accouchement sans problème sera traumatisant car la patiente n’aura pas été bien entourée. Le temps de discussion, de débriefing, est fondamental. Aujourd’hui, en deux secondes, on passe d’une patiente à l’autre. Il n’est pas étonnant que certaines de mes consœurs préfèrent changer de profession : peut-être qu’elles gagneront moins bien leur vie mais elles n’auront pas les mêmes responsabilités ni des gardes de 12 heures non-stop qui ne laissent pas le temps de manger ni de boire…

* Le Point, 9 février 2022. Tribune collective portée par Anna Roy, sage-femme à l’initiative de #JeSuisMaltraitante, chroniqueuse à La Maison des maternelles, auteur du podcast Sage-Meuf.

À LIRE ÉGALEMENT

L’intégralité de l’interview de Camille Dumortier, « La maltraitance, c’est de ne pas accorder le temps nécessaire aux patientes », Objectifs Soins & Management n° 286, avril-mai 2022.

Les dernières réactions

  • 17/05/2022 à 20:47
    Henriette Amunazo
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