Nelly Grosjean est sage-femme en prévention maternelle et infantile (PMI), en Picardie. Au volant de sa voiture, elle sillonne les routes et villages de l’est de la Somme, « une région tout à fait rurale », sinistrée par le chômage de masse. Pendant plusieurs mois, la journaliste Anna Salzberg a enregistré le témoignage sonore du quotidien de cette maïeuticienne volontaire et attachante. Le résultat ? Six épisodes d’un documentaire radiophonique unique à écouter gratuitement sur www.arteradio.com.
« - T’as envie d’un bébé ? »
« - Je sais pas en fait. »
Nelly Grosjean reçoit à l’accueil PMI une jeune femme de 20 ans qui vient pour un test de grossesse. A force de questions, directes, simples, posées d’une voix qui ne laisse pas de place à l’indiscrétion, la sage-femme met en lumière « l’ambivalence dans le désir de grossesse ». Son boulot consiste en grande partie à désamorcer « les petites angoisses », à « discuter » avec de futures ou déjà mères souvent paumées.
Le point commun de la plupart de ses patientes, c’est l’isolement imposé par des revenus modestes, voire carrément par la pauvreté, et l’ennui qui en découle. Comme elles ne peuvent pas se déplacer, Nelly va à leur rencontre, jusque dans les villages les plus reculés.
A une femme enceinte condamnée au repos par un col trop ouvert, elle propose de monter un dossier pour demander une aide-ménagère. « Ca se fait pas », tranche la jeune femme sans emploi. Pendant que Nelly procède à l’échographie à domicile, les sons des battements de cœur du fœtus, amortis par le liquide amniotique, se mêlent à la conversation. « Je l’ai gardé pour le papa, parce que moi je voulais me le faire enlever. L’autre il n’a que 14 mois, alors… »
Prises au piège d’un « environnement social merdique », les femmes ne peuvent pas bouger faute de moyens de locomotion. Dans certains villages, « il n’y a rien, pas d’épicerie, rien. Alors le week-end, quand le mari revient, on va vite faire les courses au supermarché, mais le reste de la semaine, elles restent comme des andouilles », compatit Nelly Grosjean.
Entre l’adolescente de 16 ans qui ne sait pas ce qu’est une sage-femme et a quitté l’école parce que les autres « regardent bizarre » son ventre arrondi par six mois de grossesse; la maman de huit enfants, sourde profonde, enceinte du neuvième et qui se rend à pied et en stop à la consultation de Péronne, à 16km de son domicile; et cette autre mère, seule avec trois enfants, qui n’envoie pas à l’école son aîné de 10 ans parce qu’elle a besoin qu’il l’ « aide un peu » ce matin, Nelly Grosjean, côtoie la misère, le dénuement social et affectif sans jamais juger. Avec juste ce qu’il faut d’empathie pour laisser à ses patientes le loisir de parler, de se confier. « C’est très, très XIXe siècle, encore », observe-t-elle. « Et les femmes sont très, très mal considérées. »
C. A.
- Les quatre premiers épisodes, d’une quinzaine de minutes chacun sont déjà en ligne. Les deux derniers seront mis en ligne le mercredi 31 décembre et le mercredi 7 janvier.