Table ronde de haute volée au dernier Congrès national infirmier des soins à la personne âgée, entre deux acteurs rompus au concept de la « bientraitance ».
En matière de « bientraitance », Jérôme Pellissier, écrivain (1) et chercheur en psychogérontologie et Alice Casagrande, déléguée nationale qualité, gestion des risques et promotion de la bientraitance à la Croix Rouge, en appellent à une certaine prudence dans le maniement de cette notion, qui recoupe des réalités diverses. S’agirait-il d’une « mode » ?
« Va-t-on arriver bientôt à un label bientraitance ? », questionne ainsi Jérôme Pellissier (2). Une formulation peut-être extrême, mais qui permet de réfléchir à la façon dont on évalue cette bientraitance : « Est-ce que, d’ailleurs, ça peut s’évaluer ? Est-ce qu’on peut la traduire en statistiques ? »
Un concept délicat à définir
Il convient d’abord de s’interroger sur la clarté du concept, qui n’est pas, selon le chercheur « le contraire de la maltraitance, elle-même difficile à définir ». En caricaturant, il énumère ce qui peut être considéré comme des preuves de bientraitance dans une institution pour personnes âgées : « Ici, les résidents ont la clé de leur chambre ; ici, on frappe avant d’entrer ; ici, ils peuvent choisir s’ils veulent être soignés par un homme ou une femme… Est-ce qu’être bientraitant veut dire respecter la loi ? »
Néanmoins, en suivant la logique de sa réflexion, Jérôme Pellissier juge positif le flou qui entoure cette notion : « On ne peut pas avoir de recette pour tout. En la matière, les fameux 14 besoins fondamentaux de la pyramide de Virginia Henderson, une référence dans les soins infirmiers, n’est pas applicable. Quand on parle de prendre soin, je ne suis pas sûr qu’une grille apporte plus que la rêverie ou le relationnel. » Et de citer, comme fondamentaux d’une politique du « soin bientraitant », les nécessaires qualités d’empathie, d’écoute, de disponibilité.
"Habiter l'instant"
Poursuivant la même réflexion, Alice Casagrande souligne l’importance, pour le personnel soignant, de réévaluer sa propre position vis-à-vis des attentes liées à ce concept. Pour elle, dans la construction même du mot bien-traitance, « on garde en mémoire la conscience de l’ombre – la maltraitance – donc le souvenir du risque ». Par conséquent, un triple « travail de deuil » est à mener : le deuil du résultat, ramené au principe plus simple : « Que puis- je faire pour l’autre ? » Dès lors, il faut cesser de « rêver un futur radieux pour des personnes à la fin de leur vie, mais habiter l’instant ». Faire le deuil, ensuite, de notre capacité d’action, pour mieux prendre conscience, dans les pratiques soignantes, de l’importance de l’écrit, c’est-à-dire de la capacité à travailler en équipe : « Une personne qui a de la fièvre souhaite autant que le soignant lui donne un Doliprane, que celui qui prend le relais le lendemain sache qu’elle a eu de la fièvre. » Faire le deuil, enfin, de cet idéal formulé par Victor Hugo : « Le jeune homme est beau, le vieillard est grand. » Autant de préalables qui vont guider les pratiques soignantes, accompagner le travail d’évaluation vers une humilité pragmatique.
Au bout de ces riches réflexions qui ont capté l’auditoire comme rarement, Alice Casagrande a conclu son intervention sur une citation du philosophe allemand Emmanuel Kant, qui pourrait devenir l’axiome de la réflexion sur la bientraitance : « Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? »
Texte: Sarah Elkaïm
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1 - Auteur, notamment de La guerre des âges, Armand Colin, 2007, 237 pages et de «La nuit, tous les vieux sont gris: La société contre la vieillesse », Bibliophane, 2003.
2 - Tous les propos rapportés dans l'article ont été tenus lors d'une table ronde dans le cadre du Congrès national infirmier des soins à la personne âgée qui s'est tenu du 20 au 22 mars au Palais des congrès de Paris.