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Déjà très fragilisés par les confinements successifs, les personnes précaires et les migrants sans papiers sont en bonne position sur la liste des populations les plus fragiles face à la Covid-19. Mais leur place dans la campagne de vaccination suscite l’inquiétude des associations et des organisations humanitaires.
En ne rendant pas la vaccination prioritaire aux populations migrantes et plus largement aux personnes vivant dans la précarité, le gouvernement a-t-il signé leur arrêt de mort ? C’est ce qui alarme l’Académie nationale de médecine qui, dans un communiqué du 28 juin dernier, invite les pouvoirs publics à « porter une attention particulière aux plus démunis et aux moins visibles ». « De par leur situation particulière, ces populations ne sont pas facilement bénéficiaires des services préventifs et curatifs du système de santé français. Or, on sait que, dans ces populations vivant parfois dans des conditions d’inconfort et de promiscuité qui rendent les gestes barrières et l’accès à l’eau incertains, la propagation du virus peut être très rapide », rappelle Dominique Kerouedan1, membre de la cellule « Épidémie Covid-19 » de l’Académie nationale de médecine.
Navigation à vue
En accord avec la défenseure des droits, Claire Hédon, cette dernière liste ainsi une série de recommandations, parmi lesquelles celle d’inclure l’ensemble de ces populations fragiles dans la surveillance épidémiologique de la Covid-19 et dans le suivi de la campagne nationale de vaccination. « En l’absence de données concernant ces populations, on navigue totalement à vue. Ont-elles été suffisamment sensibilisées ? Des centres de vaccination ont-ils été mis en place à proximité ? Des équipes mobiles se rendent-elles dans les campements pour identifier les populations cibles et les vacciner ? Ce sont toutes ces questions auxquelles il faudrait que nous obtenions des réponses pour pouvoir élargir la vaccination au plus grand nombre », poursuit la correspondante de l’Académie.
Obstacles administratifs et logistiques
Avant d’envisager de vacciner ce public, il convient toutefois de lever un certain nombre de freins. Barrière de la langue, méconnaissance des droits ou des facteurs de risque, accès limité à Internet, coûts potentiels de la vaccination… autant d’obstacles administratifs et logistiques que les collectivités locales, les associations et les organisations humanitaires ont tenté de contourner tant bien que mal ces dernières semaines. « Cela fait relativement peu de temps qu’on arrive à proposer la vaccination aux personnes précaires. Ce sont des personnes qui sont très éloignées du système de santé et il a fallu qu’on aille les chercher dans les lieux qu’elles fréquentent (centres de distribution alimentaire, accueil de jour, foyers d’hébergement, etc.) pour pouvoir les toucher », décrit Cristiana Castro, infirmière et coordinatrice du projet vaccination Covid MSF (Médecins sans frontières).
Une démarche « d’aller vers » qui se déploie généralement en deux temps : une première phase de sensibilisation, via des équipes mobiles composées de travailleurs sociaux, personnel médical et interprètes, et, quand la personne souhaite se faire vacciner, d’une autre phase avec prises de rendez-vous pour l’administration des deux doses. « Comme dans la population générale, les gens sont très méfiants par rapport aux effets du vaccin sur leur corps. Avant même de leur proposer la vaccination, c’est donc essentiel de les rassurer en leur donnant toutes les clés de compréhension pour travailler sur cette réticence. Sachant que le but n’est pas de les forcer mais de leur donner le choix », avise-t-elle.
De nombreux postes à pourvoir… pour vacciner
Autre impératif pour une mobilisation plus large : obtenir des fonds spécifiquement dédiés. Une demande sur laquelle tous s’accordent. « Se reposer sur les associations, cela ne suffit pas. Il faut renforcer l’existant sans tergiverser sur les moyens humains, matériels et financiers pour dérouler la vaccination partout où se trouvent ces personnes démunies et à risque tout à la fois de contracter le virus et de développer des formes sévères », décrète la correspondante de l’Académie nationale de médecine. Reste que la pénurie de ressources humaines, et notamment d’infirmières, à laquelle les associations doivent actuellement faire face, rend la situation complexe à gérer. « On a prévu de vacciner sur trois sites différents chaque jour, mais on est parfois contraints de freiner nos activités parce que nous n’arrivons pas à pourvoir nos postes, déplore Cristiana Castro. Or, sans personnel pour vacciner, je ne vois pas comment on va réussir à toucher un maximum de personnes. »
Éléonore de Vaumas
1. Gentilini M., Kerouedan D., « Rapport 20.01. L’immigration en France : situation sanitaire et sociale », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, vol. 204, n° 5, mai 2020, p. 455-469.