Frédéric Pierru

23/06/2015

Les 35 heures, ces intouchables !

À l'heure où l'hôpital doit procéder à des économies massives supplémentaires, les négociations sur la réduction du temps de travail risquent d'être houleuses.

L’épineux dossier des 35 heures est en passe d’être rouvert. Et c’est par l’angle de la réduction du temps de travail à l’hôpital que le gouvernement a choisi de l’attaquer. En effet, même ses promoteurs, au premier rang desquels l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, reconnaissent désormais que ses conséquences pour l’hôpital avaient été mal anticipées. Résultat : les comptes épargne temps gonflent sans que les moyens financiers ne suivent pour les honorer ; des pénuries locales voient le jour, que ce soit en termes de spécialités (par exemple, l’anesthésie-réanimation) ou géographiques ; les cadences s’accélèrent au prix de la dégradation des conditions de travail et de l’augmentation de l’absentéisme…

C’est dans ce contexte que le directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, est très certainement mandaté par l’exécutif pour mener à bien une réforme qui pourrait être généralisée dans un second temps à l’ensemble des établissements hospitaliers. Et ce, à l’heure où l’hôpital doit procéder à des économies massives supplémentaires dans les années qui viennent. Cette négociation risque d’être houleuse et s’annonce des plus périlleuses. En effet, la réduction du temps de travail, loin d’être un sujet technique, est d’abord une réforme de société (et cela avait été assumé comme tel à l’époque). Les 35 heures sont passées dans les mœurs. Revenir sur cet « acquis » après quatre ans d’austérité risque de déclencher bien des mécontentements.

Plus fondamentalement, c’est le rapport au travail des soignants qui s’est durablement transformé depuis quinze ans. Premièrement, les jeunes professionnels de santé aspirent, à l’hôpital comme en libéral, à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le modèle de la vocation et du sacrifice a vécu et il ne reviendra pas. Les jeunes soignants veulent avoir une vie à côté de l’hôpital. En second lieu, le métier de soignant s’est banalisé. À force de leur répéter que le médecin n’est qu’un ingénieur ou un cadre supérieur, les infirmiers des techniciens supérieurs, etc., les pouvoirs publics ont contribué à désenchanter des métiers qui, dès lors, aspirent à bénéficier du « droit commun » du statut de salarié. En un sens, la prégnance de la vocation était source de travail gratuit pour les directions hospitalières et les pouvoirs publics. Aujourd’hui, les soignants entendent ne pas être « exploités » par des tutelles qui ne parlent plus que d’argent. Enfin, en troisième lieu, les rétributions matérielles (les traitements) et symboliques (la reconnaissance) sont considérées comme insuffisantes au regard de conditions de travail qui se durcissent et sont vues comme des entraves à l’exercice du métier dans les règles de l’art. Bref, sans « grain à moudre », pour reprendre l’expression célèbre d’un dirigeant syndical (1), cette négociation risque de tourner vite à l’aigre et à l’aigreur, d’autant plus que chaque spécialité et corps de métier regardera attentivement ce que les voisins ont gagné ou perdu dans l’affaire.

1- «  Les syndicats ont du pain sur la planche, voire du grain à moudre  », selon l’expression d’André Bergeron, ancien patron de FO.

Frédéric Pierru, chercheur en sciences sociales et politiques au CNRS-Ceraps, Lille 2

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