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Cancéreuse indocile, femme libre, auteure du blog fuckmycancer.fr et du livre éponyme paru chez Fayard le 29 avril, Manuela Wyler est l’invité du mois de L’Infirmière magazine.
Pendant mon parcours cancer, j’ai eu affaire à nombre d’infirmières : celles du service de chirurgie, qui étaient en première ligne avant et après l’intervention. Les infirmières de bloc opératoire, de salle de réveil, de soins intensifs, celles des suivis de pansements, celles de chimio. Toutes apportaient de l’humanité dans le parcours de soins, de la compétence et une vraie valeur ajoutée aux soins. Enfin, presque toutes.
La première infirmière que j’ai rencontrée était un infirmier, je devais avoir six ans et lui me paraissait bien vieux. C’était au temps où les seringues se stérilisaient encore. C’était il y a un demi-siècle. Ce très gentil monsieur m’expliqua calmement ce qu’il allait me faire et me souriait en me parlant. Je n’ai pas eu peur. Je n’ai plus jamais eu peur des soins, des prélèvements, des trocarts et autres drains de Redon. Un peu plus tard, dans une clinique, une bonne sœur en voile blanc me fit réviser l’admiration naïve et sans borne que j’avais alors. L’infirmier précédent resta à mes côtés le temps de mon hospitalisation et forma un rempart à la cornette. Il était mon garde du corps, tant au propre qu’au figuré. C’est ainsi que j’ai construit l’image de votre profession. Vous êtes le mur qui protège le malade de l’agression. En théorie. C’était une autre époque. Un autre exercice de votre métier. Un temps où les compétences techniques étaient moindres, mais un temps où l’humain comptait plus. L’infirmière était considérée, appréciée et remerciée par les malades et leurs familles. Certains médecins travaillaient en ville avec leur infirmière.
J’ai grandi, j’ai rencontré d’autres professionnels de différentes générations, j’ai vu les pratiques évoluer, les formations devenir plus techniques, les spécialisations, la surcharge de travail, les difficultés des infirmières libérales, le manque de remplaçants, l’épuisement et le découragement. J’ai vu aussi la baisse de cotation des actes et des salaires, les grèves, les réquisitions. J’ai mesuré le découragement des soignants et son corollaire chez les malades. Infirmière mal payée, déprimée et stressée signifie inévitablement moins d’attention et d’empathie pour le soigné.
Je rêve donc d’une société où il y ait suffisamment d’infirmières de bonne humeur, bien dans leurs vies et bien rémunérées, pour que nous les malades puissions avoir, à soin constant, plus d’attention et la bienveillance qui a parfois disparu, noyée dans la technicité des actes.