© D. R.
Auxiliaire de vie puis aide-soignante, Babeth enseigne la gentillothérapie sur son blog. C’est l’invité du mois de L'Infirmière magazine.
Madame B., 54 ans. Schizophrénie. Monsieur K., 45 ans. Syndrome de Korsakoff. Madame G., 37 ans. Autisme. Sur le papier, ça a l’air simple. Des noms, des âges, des pathologies. Oui mais non.
Des noms, des histoires. Dans leurs dossiers, je découvre l’histoire de ces patients. Je découvre des parents et des fratries, parfois des enfants. Des histoires de maladie et des histoires de famille. Les histoires de leur maladie deviennent celles de leur vie. Ou le contraire.
En gériatrie, c’était facile. Les gens avaient vécu « normalement », puis ils avaient vieilli. C’était juste des personnes âgées, avec des problèmes liés à l’âge. En psychiatrie, c’est différent. La normalité n’est pas la même. « Ma » normalité n’est pas la leur. D’ailleurs, c’est quoi la normalité ? Le dictionnaire renvoie ce mot à « normal » : « qui est conforme à une moyenne considérée comme une norme », puis, plus loin « qui est prévisible, logique, compréhensible ». La normalité, ce serait donc ça. Une chose logique partagée par le plus grand nombre. Mais où est la logique de ce patient qui fait trois fois le tour de sa chaise avant de s’asseoir ? Où est la logique de cet autre qui se jette la tête la première sur la porte ? Ou de celle qui passe sa journée à attacher ses cheveux, puis les détacher, puis les rattacher... ? Et nous, soignants, que pouvons-nous faire pour prendre soin de ces patients dont la normalité n’est pas la nôtre ? Quelle réponse logique à leurs comportements illogiques ? Quelle est la raison dans la déraison ? Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, disait Descartes. En cours de philo, ça avait l’air tellement simple pour ma jeune tête pleine de certitudes ! Et logique.
Aujourd’hui, ce qui me semblait simple ne l’est plus. J’essaie de penser différemment. J’apprends à ne pas comprendre. J’accepte de me perdre et de demander mon chemin. Et face à tous ces patients, ces mêmes questions, lancinantes et entêtantes : comment seraient-ils sans la maladie ? Qu’aurait été leur vie hors des murs de l’hôpital psychiatrique ? À quel moment l’histoire de la maladie et l’histoire de vie se sont-elles si intimement confondues ? Allez, j’arrête avec mes questions existentielles et je repars pour une nouvelle semaine.Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Lundi manie. Mardi schizophrénie. Mercredi incurie. Jeudi potomanie. Vendredi aboulie. Samedi stéréotypie. Et dimanche... je débranche !