05/10/2016

Bonjour, bonjour les hirondelles

Psychomotricienne en hôpital gériatrique, Petit bourgeon raconte ses aventures sur Chezlesvieillesbranches.wordpress.com. C’est l’invité du mois de L’Infirmière magazine.

« Hirondelle » en tenue blanche parmi celles qui filent de chambre en chambre aux heures les plus actives, comme Mme Poésie, patiente malvoyante, aimait à décrire aides-soignantes et infirmières voletant autour d’elle, j’appartiens à cette faune paramédicale faussement uniforme. Mais mes bras chargés de balles colorées instillent une perplexité amusée dans le regard des brancardiers de passage et soignants débutants. À quelle espèce peut-elle bien appartenir ? Régulièrement, on s’exclame : « Quelle chance, vous allez bien vous amuser, vous… je crois que j’ai raté ma vocation ! » Je feins alors d’être vexée, réponds que le ballon de baudruche est à la psychomotricienne ce que le stéthoscope est au médecin (ou plutôt, je répondrais ceci si j’étais dotée d’un meilleur sens de la répartie), j’ajoute que jouer est une activité fort sérieuse, et je poursuis mon chemin. En hôpital gériatrique, remettre du jeu où tout est en train de se figer est parfois une urgence.

Quelle idée saugrenue, aussi, de proposer à des perclus par la « vieillerie » – ce sont eux qui le disent – de jouer ! À l’hôpital, en plus ! Leur enfance est trop loin, ou étrangement actuelle, quand leur mémoire a pris un aller simple pour le passé. Et dépassés sont ces corps qui pensent avoir oublié comment on se plie, on s’étire, on atteint, on se porte, on danse. Il faut prendre le temps de tisser une confiance mutuelle, circonscrire le terrain et surligner l’aspect rééducatif – donc utile et nécessaire ! – du jeu : « Vous savez, ce n’est pas simplement une récréation, on travaille l’équilibre, les appuis, les coordinations, l’adaptation tonique, la réactivité et bien d’autres choses en jouant au ballon. » Parfois, il faut sentir l’impossibilité et respecter les refus, accompagner par une autre voie. Mais souvent, de passe en passe, un sourire émerge, l’excitation de l’enjeu apparaît et fait fondre la peur, les gestes ne sont plus des hardiesses, mais des explorations, et des retrouvailles avec un corps moins étriqué s’opèrent. On attrape un ballon comme on se ressaisit d’un soi laissé à d’autres mains et d’un monde fuyant, délité, assourdi ou trop criard. 

En chambre – au lit ou au fauteuil –, en salle de psychomotricité ou au jardin, il n’est pas rare qu’une hirondelle débarque. Nous nous interrompons un instant, et ses yeux ronds nous renvoient au plaisir d’être pris la main dans le sac, dérobant un peu de profonde légèreté au temps qui, gravement, continue de filer.

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