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Alors que la France peine à assurer un accueil digne aux migrants, il ne faudrait pas que nous, soignants, opposions les bonnes victimes, celles de « notre culture », et les mauvaises, constituées de ces populations venues d’ailleurs…
Dans les années 70, le sauvetage des boat people fuyant les régimes dictatoriaux par les mers asiatiques a consacré l’action humanitaire internationale et entraîné, pour leur accueil, une forte mobilisation des pays occidentaux. De fait, les ONG médicales ont historiquement eu pour levier d’action la déclaration universelle des droits de l’homme et le droit à l’accès aux soins pour tous. Pendant longtemps, face aux belligérants, cet argument a permis de négocier un « espace » humanitaire, parenthèse aux conflits où l’on pouvait soigner les malades et les blessés, sans discrimination.
Il est terrible de constater qu’aujourd’hui, dans des pays en guerre, des bombardements ciblent des hôpitaux, blessant et tuant patients et professionnels de santé, au mépris de toutes les conventions internationales. Et ce, dans une quasi-indifférence proprement scandaleuse. Action délibérée ou accident ? Le nombre d’évènements laisse peu de doutes : Kunduz en Afghanistan en 2015 (bombardement américain), Alep en Syrie en juillet 2016 (bombardement russe) ou encore au Yémen, coalition soutenue par l’Arabie Saoudite et amenant au retrait des équipes de Médecins sans frontières… Avec une quinzaine de conflits en cours, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rappelle que le nombre de réfugiés n’a jamais été si important et que l’Europe en fait trop peu pour assurer un accueil digne aux populations fuyant la guerre. Et malgré l’intense émotion engendrée par la photo d’un enfant syrien mort noyé sur une plage turque, l’horreur continue : l’ONU estime que depuis 2014, au moins 10 000 personnes se sont noyées en Méditerranée…
Plus proche de nous, à Calais, mais aussi ailleurs en France, des êtres humains, parce que migrants, sont obligés de vivre dans des conditions inacceptables – un « défaut de prise en charge » pour lequel la justice française a condamné l’État. Alors, en 2016, ces mêmes ONG travaillent maintenant sur le sol français pour assurer les standards minimum prévus par le droit international : abris, sanitaires, eau potable, soins… Dans ce contexte, la démagogie de l’appel du pied de Marine Le Pen à la profession le 12 mai, lors de la journée internationale des infirmières, interpelle et dérange : des IDE « socle d’un système de santé […] fragilisé par des vagues d’immigration », « des individus d’exception » victimes de « carence managériale », mais promis à une « reconnaissance universitaire et financière »…
Faut-il rappeler que les valeurs de notre profession reposent sur le respect de la personne humaine, de son intégrité et de sa dignité ? Et que toute logique de discrimination, de tri et d’opposition entre les bonnes victimes, celles de « notre culture », et les mauvaises, constituées de ces populations venues d’ailleurs, va sans discussion et définitivement à l’encontre de l’éthique de la profession infirmière.