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Sur son blog, Anne – infirmière à la maison – partage ses pensées, réflexions et anecdotes d’infirmière « libre ». C’est l’invité du mois de L’Infirmière magazine.
Un immeuble, une entrée sombre et sale. Quelques pas me mènent jusqu’à l’ascenseur dans lequel une surprise différente m’attend chaque jour : aujourd’hui, je trouve des restes de repas, visiblement trop copieux ou trop arrosés. Finalement, je me servirai de mes jambes pour monter.
Il est onze heures du matin passées, et les odeurs de cuisson se mélangent déjà dans la cage d’escalier. Je range mes clés dans la poche arrière de mon jean, machinalement, en entamant l’ascension de ces quelques étages. Je souffle, les escaliers sont raides et mes genoux douloureux.
L’appartement qui s’ouvre après ces quatre volées de marches est aéré, propre et sa porte, en se refermant, laisse dans le couloir tous les désagréments olfactifs des dernières minutes. Je respire... et souris à la femme qui se tient là, face à moi.
Elle sera, ce matin-la, la vingtième patiente que je vois, la vingtième qui m’attend. Elle sera aussi la première à me regarder droit dans les yeux et à me demander comment je vais et si je tiens le coup parce qu’elle trouve que j’ai l’air fatiguée. Un peu surprise, je réponds automatiquement que oui, tout va bien, pas d’inquiétude à avoir, et je la remercie pour cette attention.
Tout va bien.
Une poignée de minutes plus tard, je repasse la porte et dévale les escaliers. Je suis en retard. Je laisse l’entrée sombre et sale de l’immeuble derrière moi.
Ma voiture m’attend, le prochain patient s’impatiente déjà sûrement. Je poursuis mon chemin : de maison en appartement, d’escaliers à monter en ascenseur qui déraille, de portillons à refermer en muret à enjamber. Les jardins, les rues, les trottoirs, les portes défilent comme dans un ballet bien orchestré par lequel on se laisse porter.
Un ballet qui nous donne parfois le tournis tant il est rapide et semé d’embûches et où s’entremêlent les âmes et les corps que l’on panse. Un ballet qui n’est jamais le même d’une journée à l’autre, tantôt gai, tantôt morose, mais jamais ennuyeux.
Alors oui, malgré la fatigue, malgré les difficultés, parce qu’il y a ces femmes et ces hommes chez qui le temps s’arrête, ces femmes et ces hommes qui sont au centre de nos journées de soignants, tout va bien.
Tout va bien tant que ce ballet, aussi intense soit-il, a du sens… et il en a.