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Ni maton, ni « bonne à ne rien faire », l’infirmière Suzie Q in the house of madness prend la plume pour narrer les 1 000 choses qui se produisent entre les murs de l’HP. C’est l’invité du mois de L’Infirmière magazine.
La réunion clinique est le meilleur moyen de faire des économies d’énergie. Dix cerveaux en ébullition dans 20 m², ça chauffe !
– T’en dis quoi ? Bipolaire ou PMD ?
– On s’en fiche ! L’état maniaque est à la PMD ce que le pôle Nord est à la bipolarité : une folle excitation ! Et notre gus, eh ben, il est en plein d’dans !
– Peu importe le diagnostic, faut lui retirer son téléphone. Il passe la nuit à harceler sa famille.
– C’est pas si simple, rétorque le cadre, il est en soin libre. On n’a aucun droit de le lui retirer.
– Sauf ton respect, tu roules bien dans l’un de ces vulgaires 4x4, non ? Il a bien un gros pare-choc ?
– Techniquement, on appelle ça un pare-buffle.
– Et un buffle, tu t’en es déjà pris un ?
– Ben non…
– Tu vois, ça marche !
–Et quel est le rapport ?
– Bon Dieu, laisse tomber le management quand tu viens ici et pense clinique. Pense Reizschutz !
– Rei-quoi ?
– Reizschutz ou la pare-excitation. Nous sommes les pare-buffles du soin. Un rempart à l’excitation qui perturbe le bon équilibre psychique. Le rétablissement en santé mentale demande du repos, d’où la mise au vert et la prise à distance avec un environnement stimulant. À l’époque de Freud, un HP comme le nôtre, perdu en pleine campagne, était suffisant. Mais de nos jours, avec les smartphones, le patient arrive avec ses soucis. L’extraction du milieu ne suffit plus, il faut couper la liaison téléphonique !
– Au détriment de leurs droits ?
– Le soin et le droit ont que peu de choses en commun. Parfois, prendre soin d’un patient, c’est aller à l’encontre de ses droits et libertés. Dois-je respecter les droits d’un suicidaire et le laisser sortir librement dans le parc ? Est-ce cela prendre soin ?
– Certes, mais là, on parle juste d’un type qui harcèle sa famille…
– Oui et notre rôle est de permettre aux patients de recouvrer une stabilité psychique. Cette stabilisation passe, à mon avis, par une mise à distance avec sa famille.
– Et s’il porte plainte ?
– Eh bien on perdra ! Car on n’a pas le droit de l’empêcher d’avoir son téléphone, tu l’as dit ! On perdra au niveau légal, mais on aura gagné au niveau du soin. De la même façon, si on lui laisse son téléphone, on sera droit dans nos bottes d’un point de vue légal, mais au niveau du soin, on aura perdu... Ce qui ramène à la question que nous devons tous nous poser.
– Qui est ?
– Sommes-nous des juristes ou des soignants ?