24/03/2017

Le dégoût, sans tabou

"Oh, j'ai dû aspirer le patient, j'avais envie de vomir…" Généralement passée sous silence et peu abordée dans la formation, la question de la répulsion dans les soins est souvent un sujet tabou.

Psychologue au sein d’un service d’urgences générales, j’ai souvent entendu : « Oh, j’ai dû aspirer le patient, j’avais envie de vomir. Moi, ça, je ne peux pas ! », « Caroline, prends un masque, sinon tu ne tiendras pas ! », « L’odeur de ce patient envahit les urgences, c’est dur pour les autres patients ! Et pour nous ! ». Porte d’entrée de l’hôpital, interface entre le dedans et le dehors, les urgences accueillent chacun – quelle que soit sa situation sociale – avec la même qualité de soin. Mais qu’en est-il lorsque nos sens sont malmenés jusqu’à mettre à l’épreuve nos limites de soignants ? Généralement passée sous silence et peu abordée dans la formation, la question de la répulsion dans les soins est souvent un sujet tabou. Cependant, une étude réalisée au sein d’un service d’urgence auprès de 80 professionnels médicaux et paramédicaux (1) révèle qu’il est possible d’en parler ouvertement. Le tabou du dégoût serait davantage un phénomène sociétal qu’inhérent à leur pratique. La société, dans une vision idéale, renverrait à tous l’image du soignant qui peut tout supporter.

Faire preuve d'humour pour dédramatiser

Malgré cela, la difficulté d’y être confronté directement n’en est pas moindre. 82,5 % des soignants ayant participé à cette même enquête disent éprouver parfois de la répulsion dans les soins. Chacun possède ses propres sensibilités, mais les sens les plus mis à l’épreuve sont la vue et l’odorat. Comment aborder ces situations délicates ? Sommes-nous poussés à œuvrer plus vite, à passer moins de temps auprès du patient, pour nous protéger ?

Outre les évidentes mesures d’hygiène, les soignants trouvent des solutions : en parler librement entre eux, se donner des conseils, faire preuve d’humour pour dédramatiser, ou encore effectuer les soins à plusieurs pour passer moins de temps dans la chambre. L’esprit d’équipe est protecteur.

Une autre piste serait de se référer à une éthique de la responsabilité, en référence à Emmanuel Lévinas (2) pour qui « c’est l’expérience de l’altérité et de la vulnérabilité de l’autre en tant qu’homme qui donne le sentiment de responsabilité ». C’est dans le sentiment de responsabilité envers autrui que le moi se sent irremplaçable. Avoir la sensation d’avoir une vraie place et se sentir utile nous porte. Face à l’adversité, le plaisir et le sens que nous trouvons à exercer chaque jour, sont protecteurs et source de remobilisation interne. La motivation intrinsèque est l’une des plus puissantes clés de la résistance. Alors quand nos sens sont mis à l’épreuve et subissent, la solution serait de replonger en soi, sur ce qui fait que nous sommes là pour mieux retourner vers l’autre. Pour lui redonner ce sens que nous avons trouvé en nous. Se resituer dans une perspective plus dynamique est essentiel : pour être acteur de soins et se remobiliser vers une plus grande fin. Pour autrui.

1- Enquête réalisée à partir d’un auto-questionnaire par Caroline Didier, aux urgences de la Pitié-Salpêtrière, du 27 juin au 8 juillet 2016, dans le cadre d’un mémoire de DU Gestion du stress en pratique soignante. 
2- Éthique et infini, Emmanuel Levinas, Le Livre de Poche, 1984.

Caroline Didier est psychologue au service de soins de réadaptation post-réanimation et aux urgences générales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP)

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