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Psychomotricienne en hôpital gériatrique, Petit bourgeon raconte ses aventures sur son blog. C’est l’invité du mois de L’Infirmière magazine.
Sa remarque venait de trancher dans notre silence songeur. Nous rouvrions notre souffle à cet étrange calme, chacune respirant les premières lampées de l’air enfin désaturé des rustres odeurs du soin et de la stridence des cris de la patiente. Elle mettait de l’ordre sur son chariot et je terminais de frotter mes mains à la solution hydro-alcoolique. Derrière la porte de la chambre que nous venions de quitter, la vieille dame semblait apaisée.
« Vraiment, je ne pourrais pas faire ton boulot ! » Comment pouvait-elle penser ne pas en être capable ? Surprise par le contraste entre la douce assurance de cette infirmière aux gestes rapides et résolus et son commentaire, j’avais balbutié que moi non plus, je ne pourrais sans doute pas faire le sien.
Sur demande du médecin, nous avons convenu que j’assisterai à la toilette et à la réfection de pansement de l’escarre sacrée de cette patiente atteinte par une maladie d’Alzheimer très avancée et un syndrome post-chute. Il fallait tenter de mettre un sens, pour elle comme pour les soignants, sur ses réactions corporelles tonitruantes pendant les soins. Peut-être pouvions-nous adapter les habitudes et proposer un accompagnement spécifique pour l’aider à ne plus subir ce débordement de sensations, devenues pour elle impossibles à intégrer en un tableau sûr et cohérent. Elle hurlait, s’agrippait ou repoussait dans un mélange indifférencié d’angoisse de chuter – quand la largeur de ses appuis se réduisait lors des mobilisations –, de sentiment d’intrusion, de douleur et d’appréhension. J’avais noté mentalement mes observations tout en la soutenant par le toucher, la parole, le regard et la voix, veillant à conserver ma tranquillité de corps. De l’autre côté du lit, tendue par la souffrance de sa patiente, l’infirmière avait accéléré la cadence, en lutte contre ce temps irrémédiablement laborieux. Ce moment avait été éprouvant pour tout le monde.
Aurait-elle jugé ma position plus difficile que la sienne ? Rester, en apparence, dans l’inaction ou dans l’action a minima alors que la personne sous nos mains semble réclamer un soulagement immédiat. Accueillir, résister, jouer au vent violent des émotions, avec circonspection. Sont-ce ici ses limites, quand j’imagine la mienne dans l’impossibilité à prodiguer un soin nécessaire, mais générateur de douleur et d’angoisse ?
Un jour, il faudra peut-être que je lui pose la question...