11/09/2017

Dans le silence...

Annie Micheloud-Rey, infirmière clinicienne en oncologie, est l'auteure de "Instants de vie, au cœur des soins palliatifs", (éd. In Press). Elle raconte son expérience avec les personnes soignées, dans un quotidien où l'angoisse de la mort est omniprésente.

La prise en soin des patients en oncologie, à domicile ou en milieu hospitalier, demande une formation spécialisée afin d’appréhender la complexité de cette prise en charge. À l’annonce du diagnostic, un tsunami chamboule la vie des patients et de leurs proches. J’ai souvent entendu&nbsp: «&nbsptumeur&nbsp», «&nbsptu meurs&nbsp». L’angoisse de la mort est omniprésente chez bon nombre de personnes soignées. En tant qu’infirmière, il est important que je sois continuellement en questionnement pour développer l’ouverture à l’autre. Car c’est dans l’écoute attentive et vraie que je rejoins celui qui se raconte. Être en présence vraie, c’est accueillir l’autre dans ce qu’il vit, dans ses croyances, ses doutes, ses espoirs et désespoirs, dans tout ce qui lui permet de continuer au travers de ses propres difficultés. C’est être avec, sans jugement, sans vouloir imposer quoi que ce soit. C’est avancer au rythme du patient tout en se permettant parfois de provoquer certaines remises en question pour éviter qu’il ne soit trop longtemps figé, statufié dans une souffrance trop grande… Une présence aussi, dans le silence.

Elle venait le lundi, je l’attendais et préparais déjà le chariot avec ce qu’il fallait pour prendre le sang et laisser en place l’aiguille. Elle avait sa petite chambre à l’abri des regards. Elle détestait se montrer. Elle frôlait les murs pour arriver jusqu’en oncologie ambulatoire. Les autres la trouvaient un peu hautaine. Elle ne les saluait pas et se concentrait déjà pour éviter trop de nausées à son corps malmené. À ceux qui osaient lui demander comment elle allait, elle les regardait avec un sourire qui illuminait son visage un peu creusé par le nombre de traitements et répondait toujours «&nbspJe vais très bien&nbsp». Mais à peine la porte fermée, ses yeux s’embrumaient. Elle ne supportait plus cette odeur, mélange de désinfectant, de déjections et d’aliments dans ce couloir qu’elle traversait pour arriver jusqu’ici. Je lui prenais la main, elle me racontait ses peurs. Elle rêvait de vacances pour s’occuper de ses enfants sans devoir toujours se cacher dans sa chambre pour ne pas leur montrer à quel point elle souffrait. Elle rêvait de vivre comme tout le monde, de travailler, de partager ses sorties du week-end avec ses collègues. Elle a commencé à détester sa nouvelle vie, celle qui lui était imposée.
Dans cette petite pièce où nous étions toutes les deux, elle s’abandonnait et se racontait. Elle me posait les mêmes questions et après un silence de ma part, répondait... à sa convenance. Dans son timbre de voix, je percevais la frayeur de ne plus arriver à se battre. Elle devait vivre envers et contre tout. Il ne m’était pas permis d’utiliser les mots «&nbspséparation, mort&nbsp». Elle débarquait ici pour survivre. Toutes les deux, nous avons dessiné dans un même mouvement, durant des mois, une fresque colorée pendant que le traitement devait faire son effet. Elle m’a imposé le silence. J’ai respecté son désir jusqu’au jour où, enfin, elle m’a permis de lui raconter&nbsp: «&nbspIl était une fois, la Belle au bois dormant...&nbsp»

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