31/10/2017

La main au cul

Témoignage d'Olivier, infirmier libéral, qui revient sur ses années de formation où des collègues lui ont ouvertement, et sans gêne, donné une tape sur son « délicieux popotin ».

« La première, c’était lors de mon tout premier stage en ORL à l’hôpital de Bordeaux. Je me souviens de cette infirmière qui répétait à tout bout de champ que sortant de la grande école privée de la ville, elle avait « le bord de la blouse brodé d’or »… À la faveur d’une erreur que j’avais faite, « pour m’apprendre », elle m’a donné une tape sur le cul. Après, j’ai arrêté de compter ; pendant le reste de ma formation, je sais que ça a été assez courant mais sincèrement, je ne m’en souviens plus jusqu’à ce stage de 3e année, en long séjour, toujours à l’hôpital de Bordeaux, où cette autre infirmière m’a fait (encore une fois « pour m’apprendre ») la même chose, mais cette fois en soupirant : « Ah ! Depuis le temps que j’en avais envie ! ».

Pourtant, le plus déroutant, ce n’est pas ce geste-là, ni même sa répétition… Le plus déroutant, c’est qu’il m’aura fallu trois ans d’école, trois ans pour grandir un peu (on est si jeune quand on est étudiant infirmier au sortir du bac…) et parvenir à l’aborder avec mes collègues de promo. Je revois encore la scène : le grand hall de l’école et les chaises en rond où chacun avalait son sandwich… Je ne sais plus pourquoi je l’ai dit mais voilà je l’ai dit, sans y penser : « J’en ai marre qu’on me tape sur le cul ». Je me souviens des regards et du silence… Et c’est là, en voyant ces regards sur moi que j’ai compris ce que je venais de dire, ce dont je venais de parler et que je me suis senti vraiment comme la dernière des andouilles : venant d’une famille où il était normal de se prendre des coups à tout bout de champ, je n’avais même pas envisagé que ces gestes puissent être « inappropriés » jusqu’à ce que je le lise dans le regard des autres.

Si tout ça me revient en mémoire, c’est évidemment à cause du sujet brûlant du moment… Mais ce que je veux dire, c’est que les hommes ne sont peut-être pas les seuls à devoir s’interroger sur leur comportement et que peut-être aussi que le sujet est plus large que ça. Même si je me souviens immédiatement de ma collègue de promo – une amie – qui a vécu un stage d’enfer, vraiment harcelée sexuellement par un maître de stage. Quatre semaines à le fuir dans l’hôpital psychiatrique qui, en plus, était si loin de chez elle qu’elle dormait sur place (heureusement dans un bâtiment séparé et réservé aux étudiants de passage), la porte fermée à double tour, hésitant entre arrêter sa formation et la peur de se faire saquer sur sa note de stage… Quatre semaines atroces. Alors, bien sûr, objectivement, moi je sais bien que tout cela n’est qu’une anecdote, et surtout que c’est bien plus pathétique que grave. Mais pourtant, tout cela résonne encore en moi aujourd’hui…

Tout cela résonne encore en moi encore aujourd’hui parce que l’humiliation que j’ai ressentie en comprenant (enfin !) que ces braves femmes voulaient juste se faire plaisir sur mon délicieux popotin, c’est celle de l’essentialisation et je la croise depuis des années. C’est celle que l’on ressent quand, en face de vous, l’autre nie ce que vous êtes, ce que vous avez fait, pourquoi vous êtes là face à lui, pour vous réduire entièrement à une chose, à un détail, vous « essentialiser ». Vous réduire à un sexe, une couleur de peau, une pratique sexuelle, une religion, un détail physique, une coiffure, un bégaiement, une odeur, une fonction, un accent… L’essentialisation nie tout ce que vous êtes pour vous renvoyer à un détail de votre être et, encore plus violemment, à tous les clichés qui circulent autour de ce détail et qu’on vous renvoie dans la gueule. Vous n’êtes plus rien, rien qu’un cliché vivant et rien ne pourra vous sauver, vous êtes en fait comme à côté de votre corps. Je suis un homme donc je ne peux pas soigner tout le monde (le nombre de fois où je l'ai entendu) ; je suis « le fumeur » donc je suis toujours en pause ; je n’ai pas d’enfant donc je dois travailler à Noël ; je suis gay donc on m’appelle « ziggy » ou « chouchou » suivant le dernier spectacle à la mode ; j’ai un joli petit cul, je suis étudiant, un peu con, franchement mal dans sa peau et en position de faiblesse, donc on peut le toucher quand on veut.

« La main au cul » chez les soignants, c’est évidemment un vrai sujet mais peut-être qu’il faudra ensuite élargir le débat à toutes les autres « essentialisations », toutes aussi atroces et destructrices (1) entre soignants d’abord, entre patient et soignant ensuite… Se poser les questions de tous les réflexes de pensée (chez les hommes et chez les femmes) qui entraînent des réflexes d’action, tous ces clichés qui peuvent détruire quelqu’un parce qu’ils le réduisent d’un coup, en trois mots, en un seul geste, à un tas de chair sans âme, à un animal, à un chien, à une chienne, à une merde. Et à mon avis, il y a du travail.

1. En écrivant ça, je ne peux m’empêcher de repenser à ma collègue de promo venue de la Guadeloupe à qui on a dit en rendant son rapport de stage : « Vous êtes lente mais c’est normal dans votre ethnie ».

Les dernières réactions

  • 07/11/2017 à 17:53
    Jean
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    Je suis médecin, 50 ans, sportif, sur la dernière année je me suis pris trois fois une main au fesses de la part de femmes. Une fois à la frappadingue dans ma tenue de super héros, une fois en salle de sport, une fois lors d'une sortie sportive en nature.
  • 08/11/2017 à 21:44
    PATBIANCO
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    je comprends le désarroi , moi je suis peut être .... mais je n ai jamais détesté les mains aux fesses de la part des femmes !

    Quand aux élucubrations métaphysiques du moment à propos des "surfs de cochonnaille" , le mot est pathetique
    je pense à
  • 10/11/2017 à 13:02
    Juju
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    Ça ne sent pas un peu la récupération d'actualité ?

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