12/12/2017

Le travail émotionnel, cet invisible

Catherine Mercadier est conseillère pédagogique régionale, docteure en sociologie et auteur de l'ouvrage «Le travail émotionnel des soignants à l'hôpital» (Éd. Seli Arslan). Elle revient sur la vie émotionnelle des soignants au sein de l'hôpital, souvent taboue et pourtant si intense.

« À côté des compétences techniques, relationnelles et organisationnelles, le soin implique un travail émotionnel qu’il est difficile de « visibiliser », à l’image de la face immergée de l’iceberg. Ce travail de soin repose, pour une part importante, sur une relation soignant-soigné qui est souvent un véritable corps-à-corps. Cette interaction met en jeu des perceptions sensorielles : on ne peut toucher l’autre sans être touché à son tour, le regarder sans être regardé. Ces perceptions servent d’« instruments de connaissance » mais éveillent simultanément en nous des émotions.

Dès l’entrée dans la chambre d’un patient, l’infirmière capte une odeur fétide. D’un simple coup d’œil, elle évalue l’état de la personne, repère des extrémités cyanosées, entend une respiration irrégulière, perçoit la moiteur de la peau… Dans le même instant, ce patient va lui inspirer sympathie ou aversion, ses propos ou son attitude peuvent déclencher gêne, peur, colère ou tristesse, parfois même des sentiments mêlés. Ce corps malade - parfois déformé, mutilé et même décomposé - sécrète des sueurs, humeurs, déchets qui, pour la plupart (hormis le lait et les larmes), inspirent du dégoût.

Dans le travail de soin, l’évaluation cognitive du malade est indissociable de l’affect émotionnel qu’il suscite. Les perceptions sensorielles permettent à l’infirmière de réaliser une évaluation de la situation à la fois objective et subjective, qui va guider le travail à effectuer. Les émotions du soignant et du soigné vont interagir en cascade. Une sensation de dégoût chez l’un peut déclencher un sentiment d’humiliation chez l’autre, qu’il va accepter ou refuser. Il poursuivra ainsi l’interaction dans un silence passif ou sur un mode plutôt agressif.

Les soignants parlent peu de leur vie émotionnelle au sein de l’hôpital. Ils ne s’y sentent guère autorisés et n’y sont que rarement invités. Quand ils l’évoquent, c’est le plus souvent sur un mode « euphémisé »  : « J’étais gêné », « C’était pas évident »… Et pourtant, la vie émotionnelle du soignant est intense. Mais au regard des normes sociales, celui-ci doit en manifester un peu, pas trop, et dans une juste tonalité, pour ne pas déranger le soin. Ainsi, tel un funambule, il doit ajuster en permanence son expression émotionnelle pour maintenir une interaction propice au bon déroulement des soins. Cette gestion des émotions n’est pas prise en compte dans l’évaluation de la charge de travail du soignant. Aucune reconnaissance ne lui est accordée et, hormis quelques services spécialisés, peu d’accompagnements sont proposés pour prévenir l’épuisement émotionnel. La prévention des risques psychosociaux ne devrait pas occulter cette facette du soin. Il ne peut y avoir de qualité de vie au travail sans un soutien des soignants pour la réalisation de cette gestion émotionnelle.

Les dernières réactions

  • 14/12/2017 à 08:22
    Momonne
    alerter
    Il est bien réel le fait que nos émotions soient minimisées par nous mêmes et lorsque l'on pleure on se sent parfois tellement différente des autres , à presque penser " je ne devrai pas pleurer ici non pas devant tout le monde" . Dure réalité et quand bi

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