Le professeur Catherine Tourette-Turgis a fondé l’université des patients-Sorbonne et est chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers. Elle revient ici sur le parcours post-cancer, en se questionnant sur les rôles dévolus à chacun et la préparation de la phase de rétablissement.
Dans le parcours post-cancer, où en sommes-nous ? Tout d’abord, on sait qu’il ne suffit pas de dire à une personne, le jour de la fin des traitements, qu’elle est en rémission ou « guérie » (ce dernier mot fait l’objet de débats en oncologie) pour qu’elle se sente rétablie. Ayant travaillé plus de vingt ans dans le domaine du VIH/Sida, j’ai conservé, en tant que praticienne du counseling (1), des souvenirs très vivaces de la complexité du retour à la santé pour les personnes qui avaient pensé qu’elles allaient mourir.
Depuis deux ans, je travaille comme chercheuse clinicienne dans une consultation pour le cancer du sein et j’ai assisté à de multiples « consultations de surveillance ». En codirigeant un diplôme en cancérologie à destination des patients et ex-patients, j’ai découvert les complexités du processus de rétablissement après un cancer. En étudiant la littérature internationale sur le parcours après cette maladie, j’ai compris que certains enjeux du post-cancer n’étaient pas si loin de ceux de l’après-VIH.
Ce parcours de rétablissement est singulier, avec une temporalité propre à chacun. Il comporte plusieurs composantes interdépendantes, comme la dimension médicale, sociale, existentielle, professionnelle, économique, conjugale, familiale, etc. Il s’agit, pour la personne, de reprendre le contrôle sur toutes les sphères de sa vie, voire de les transformer et de leur donner de nouvelles orientations. Les questions sociales posées alors sont : de quel type de profession, de métier relève le rétablissement ? Qui doit prendre le relais quand le travail médical s’arrête ? Le monde du travail ? Les assurances et les mutuelles de santé ? Les associations s’engageant dans la thématique du rétablissement ? Qui se préoccupe des trois millions de personnes qui ont survécu à un cancer ? De quoi ont-elles besoin ?
La reprise du travail peut, selon si elle se passe bien ou non, être un levier ou un obstacle au rétablissement. Dans l’enquête française menée sur la vie deux ans après un cancer (2), on observe que, dans les cancers de bon pronostic, le taux de maintien dans l’emploi est de 74 % pour les métiers d’exécution et de 89 % pour les métiers d’encadrement. Les dimensions conjugale et familiale peuvent momentanément nécessiter un renforcement si, par exemple, le couple et les enfants sont épuisés psychiquement à la fin des traitements. Lorsque ces derniers s’arrêtent, il faut retisser une à une toutes les dimensions nécessaires au rétablissement, en distinguant celles qui sont des forces et celles qui ont été mises à mal par la maladie et les traitements. Mais n’est-ce pas déjà pas trop tard ? Sûrement devrions-nous préparer la phase de rétablissement beaucoup plus tôt dans le parcours de soin, en mettant en place, en amont, un accompagnement psychosocial structuré, comme cela a été fait dans le cas du VIH/Sida.
(1) « Le counseling désigne un ensemble de pratiques […] qui consistent à orienter, aider, informer ou traiter. » Extrait de V. Denise et N. Hamad, « Le counseling. Entretien avec Catherine Tourette-Turgis », Journal français de psychiatrie, vol. 12, n° 1, 2001, p. 38.
(2) Étude Vican 2, menée en 2014 par l’Institut national du cancer, en partenariat avec l’Inserm et les trois principaux régimes d’Assurance maladie.