Infirmier aux mains sales | Espace Infirmier
 

28/11/2019

Infirmier aux mains sales

Ni maton, ni « bonne à tout faire », Suzie Q narre ce qui se passe entre les murs de l’HP. Ce mois-ci, elle nous raconte l'enfer des injonctions contradictoires, bien souvent trop éloignées du réel des professionnels.

Les IPA m’exaspèrent. Oh non, désolée, je ne parle pas des IPA comme on l’entend aujourd’hui, mais des « injonctions paradoxales et absurdes » qui, trop souvent, régissent l’hôpital. Dernier exemple en date : je participe à une formation sur la posture soignante en psychiatrie. Le formateur – cadre supérieur de pôle dans un EPSM, infirmier “psy” à l’ancienne – s’insurge. « Ici, vous portez la tenue blanche mais pensez-vous réellement que la tenue fait le soignant ? Nous sommes en 2019, le temps de la supériorité du soignant sur son patient est révolu. L’empowerment, la capacité d’agir de la personne, ne sont pas des vains mots. Votre tenue n’est qu’une barrière sur le chemin de la collaboration que vous devez accomplir ensemble. »

Même si j’écoute avec une certaine mesure ce discours enflammé, le lendemain, en service, je suis fière d’arborer pour tenue un jean et un hoodie coloré… À bas la tenue blanche ! Mal m’en pris car c’est ce jour que l’hygiéniste, armée de son caisson à ultra-violet, passe dans le service. Elle s’insurge quant à elle contre les tenues décontractées et les bijoux apparents. « J’ai peur pour vous », lance-t-elle façon actors studio. Il faut se protéger, se couvrir et toujours se laver. Le SHA comme solution miracle. Le regard est grave, elle fait maintenant circuler une analyse de labo. « Oui, vous lisez bien, une BHRe, ici, chez vous, sur l’un de vos patients… » IPA, j’vous avais dit.

Mais dans un service d’admission psy de crise, la vérité est ailleurs. Elle n’est ni blanche ni noire mais quelque part dans les multiples nuances qui les séparent. Les services sont sous tension permanente. Alors l’angélisme de l’empowerment pour tous, non merci. Peut-être sur un Powerpoint, les fesses vissées dans un fauteuil feutré, mais croyez-moi, pas les jours de grande crise.

Alors on vous écoute mais on va décider tout seuls, comme des grands. Des fois on mettra la blouse, des fois la tenue complète et des fois on n’en mettra pas du tout. Et pour les mains, c’est pareil, on va en commander du SHA mais à la fin, comme toujours, à la saison des barbecues, le cadre distribuera ces flacons bien inflammables par cartons entiers… Car nos patients ont certes des psychoses bien cognées mais, jusqu’à preuve du contraire, cela ne se transmet pas par contacts rapprochés. Avec trois soignants pour 26 patients en crise et des médecins qui sans arrêt quittent le navire, on fait au mieux et vos leçons, on n’en veut pas. Nous, nous sommes tous les jours dans le cambouis de la folie. Nous, les infirmiers aux mains sales.

Retrouvez les précédentes chroniques de Suzie Q :
- “Le calme après la tempête”, sur cette admission imprévue qui bouscule tout ;
- “La bombe humaine”, sur cette étrange patient parmi les têtes blanches, une vraie tornade ;
- “Les 30 secondes qui précèdent”, sur ce moment si particulier de la fin des transmissions ; 
- “Les bienfaits de l'ETP”, en plein cœur d'un débat sur l'ETP entre soignants.

Suivez ses aventures sur son blog : Suzie Q in the House of Madness.

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