24/02/2020

Considérer le sentiment de liberté

Aurélien Dutier est philosophe, chargé de mission à l’Espace de réflexion éthique des Pays de la Loire (Erepl), co-auteur de l’ouvrage « La liberté d’aller et venir dans le soin et l’accompagnement  » (1). Il revient sur l'importance du sentiment de liberté chez le patient, parfois mis à mal durant le soin.

Circuler sans entraves, pouvoir aller et venir tel qu’on l’entend, est un droit premier constitutionnel, une modalité indissociable pour exercer notre condition de sujet libre. Dans les pratiques du soin, les professionnels savent pourtant combien cette liberté est fréquemment mise à mal : mise en place de contentions, cloisonnement dans des espaces restreints, interdiction de sortir d’un établissement ou du domicile, etc. Qu’elles soient courtes ou durables, directes ou insidieuses, ces limitations exigent, à chaque fois, d’établir un équilibre complexe entre bénéfices et risques, sécurité et liberté, besoin individuel et organisation collective. Quel professionnel n’a pas, un jour, été confronté à ces tiraillements éthiques qui questionnent le sens même de son travail de soignant ?

Mais au-delà du questionnement sur les différents dispositifs de limitation de la liberté de circulation, qu’en est-il du sentiment de liberté éprouvé par les personnes soignées ? Qu’en est-il de l’impression d’enfermement ou de liberté ressentie de l’intérieur par les personnes accompagnées à l’hôpital, en établissement médico-social ou au domicile ? Les soignants peuvent-ils accompagner ce sentiment à défaut de toujours pouvoir transformer les modalités matérielles de cette liberté ? L’intensité de notre liberté de mouvement ne se réduit pas à la superficie de notre libre espace de déambulation. On peut se sentir libre dans un espace confiné mais accueillant, et se sentir enfermé au milieu d’un large espace ouvert mais subi.

En fonction du contexte et de la nature de la relation de soin, une même limitation de circulation ou de mouvement peut être ressentie comme une insupportable violence ou comme un cadre contenant, apaisant et rassurant. Dans cette perspective, à côté de ce qui se joue dans la relation de soin, le travail sur l’accessibilité, l’architecture, l’ergonomie des espaces du soin, sera, lui aussi, déterminant sur le ressenti des personnes. De même, la prise en compte de la composante sociale de la liberté d’aller et venir sera essentielle : ouverture des lieux de soin à la cité et la vie sociale, accès à la culture, aux loisirs, aux rencontres, etc.

Finalement, le sentiment de liberté des patients ou des résidents est intimement lié au sentiment d’être reconnu et respecté dans son identité, dans ses choix, d’être respecté dans l’intimité de son “chez-soi”, d’être respecté et considéré dans sa temporalité, ses rythmes, ses habitudes. Ce sentiment est d’autant plus important à évaluer et à considérer que l’exercice de la liberté se vit souvent pour les personnes dépendantes dans des expériences de transgression (addiction, refus de soins, “fugues”, etc.) qui impliquent le besoin de rechercher une confrontation, une subversion des limites et des normes de l’espace imposées par le soin ou l’accompagnement. C’est à travers la prise en compte de toutes ces dimensions que se jouent, in fine, les différences entre un espace de soin et un lieu de privation de liberté.

1- La liberté d’aller et venir dans le soin et l’accompagnement, sous la direction d’Aurélien Dutier et Miguel Jean, éditions Hygée, 2020.

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