16/04/2020

Le piège des mots

Alex Ollivier est infirmier et chef de projet télémédecine au sein du Groupement régional d’appui au développement de la e-santé (GRADeS), à Caen. Il revient, dans « L'Infirmière magazine », sur cette fameuse question de langage : doit-on parler des infirmières comme d'un groupe féminin, ou pas ?

En langue française, la règle de proximité permettait d’accorder le genre et éventuellement le nombre d’un adjectif avec le nom le plus proche qu’il qualifiait, et de conjuguer le verbe avec le plus proche des groupes coordonnés qui forment son sujet. C’est une règle intéressante qui revient sur le devant de la scène, dans un but égalitaire et avec la volonté de gommer l’adage artificiel et paternaliste qui fait que « le masculin l’emporte sur le féminin ».

C’est une très bonne chose que l’on reparle de cette règle pour ces raisons, mais elle n’est encore appliquée nulle part. Nulle part ? Non, en fait, il y a bien un endroit où, dans le verbe, le féminin l’emporte sur le masculin : dans nos services de soin. Avez-vous remarqué comme les groupes d’infirmières et infirmiers sont parfois désignés ? «  Bonjour les filles  », dira telle cadre à son équipe qui comporte pourtant des hommes. «  Je vais demander à mes infirmières  », dira encore tel médecin souhaitant prescrire un acte à son équipe paramédicale.

Sommes-nous si avant-gardistes que nous employons déjà la règle de proximité ? La réponse semble être plus pernicieuse. Désigner les IDE comme un groupe féminin, de manière globale telle que «  les infirmières  » ou «  les filles  », c’est un mécanisme de langage. Ça n’a, à ce jour, rien de progressiste.

C’est ramener toute la profession à la condition de femme, dans un monde dominé par des hommes, et le leur rappeler chaque jour par le langage. Cet enfermement verbal, c’est un outil de domination.

Ramener, par la force des mots, les IDE à la condition féminine à notre époque, c’est leur faire subir tout ce que subissent les femmes. Les salaires inférieurs, l’absence de considération pour les compétences, les plafonds de verre pour la progression professionnelle, la subordination tacite au corps médical, lui, masculin dans l’imaginaire collectif.

La profession infirmière ne pourra se soustraire à ces subordinations implicites qu’en luttant pour l’égalité des droits entre humains, quels que soient leur sexe ou leur genre. C’est en se battant pour les femmes que les professions du care pourront reprendre la place qui devrait être la leur et montrer la haute valeur qu’elles ont pour l’ensemble de notre société.

George Orwell, dans son roman 1984, tentait de nous alerter sur l’utilisation des mots et l’usage qui est fait de la langue. Le langage, utilisé à mauvais escient, peut faire que l’individu, en choisissant tel ou tel vocabulaire, s’enferme inconsciemment dans une position, une démarche contre laquelle il ne peut lutter s’il ne met pas en perspective les mots qu’il utilise pour en extraire le sens profond. C’est une question essentielle qui s’applique à d’autres domaines du monde infirmier : élève, école, délégué, prof, et j’en passe... Preniez-vous votre cartable et votre petit goûter pour aller suivre vos cours en Ifsi ? Non, bien sûr que non. Alors, pourquoi ce vocabulaire de l’école subsiste-t-il ? Les questions de langage sont essentielles, alors posez-les vous, pour ne pas que vos mots ne vous infligent de maux  !

Les dernières réactions

  • 01/05/2020 à 09:43
    DROL21
    alerter
    Certains anciens sont encore persuadés que le métier d'infirmier n'est pas le même que celui d'infirmières.... Oui les mots ne sont pas innocents. Le reconnaître c'est pouvoir agir. En ce temps de "mélancovide... 19" c'est fondamentale.
    Merci

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