© D. R.
Diplômée en 1989, Nathalie Roy est une infirmière qui termine un master 1 d’IPA et est actuellement formatrice. Elle revient, en cette période de pandémie de Covid-19, sur les difficultés de soigner en cette époque trouble, tant la douleur des uns et des autres est vivace.
J’ai envie d’écrire. Pour partager. Pour m’exprimer. Pour témoigner. Pour saluer. Je suis infirmière depuis trente ans, toujours passionnée, toujours curieuse, toujours animée de la soif d’apprendre. Pour preuve, à 52 ans, j’ai repris le chemin de l’université en octobre 2019 pour un master d’IPA (infirmière en pratique avancée).
Pour moi, chaque rencontre avec une personne malade et ses proches est une rencontre certes professionnelle mais avant tout humaine. Je m’étais éloignée des soins depuis dix ans pour devenir infirmière coordinatrice. J’ai eu besoin d’y retourner pour me sentir utile et venir en renfort aux équipes. Alors me voici infirmière de nuit en soins intensifs. Mais soigner lors de cette crise « covidienne » me fait mal.
J’ai mal pour les patients hospitalisés, dans les yeux desquels je lis tellement de détresse. Ils sont essoufflés, épuisés, tristes, anxieux et si seuls. Leur question ? Vais-je mourir ? Ils ont peur. Est-ce qu’à un moment, quelqu’un s’est mis à la place d’un malade hospitalisé qui regarde en boucle les infos ? Qui entend les polémiques sur les possibles pertes de chance liées à la prise ou non de tel ou tel médicament, sur le manque de matériel, qui attend chaque soir le décompte des morts, des places en réanimation, et qui se dit : « Le prochain, ce sera peut-être moi... » ?
J’ai mal pour leurs proches, ils ne savent pas s’ils reverront le malade vivant, les visites sont interdites, les patients oxygéno-dépendants n’ont pas la force de parler au téléphone, pas la force d’envoyer un SMS. Pour avoir des nouvelles, la famille doit s’adresser aux soignants, qui n’ont guère le temps d’entamer une discussion.
J’ai mal pour nous, infirmières, aides-soignantes, qui travaillons sans compter notre temps, sans économiser notre énergie, sans matériel aussi, et qui sommes confrontées à des accompagnements de fin de vie que l’on essaie de rendre dignes dans des conditions très difficiles, voire indignes. Nous qui devons vivre avec cette culpabilité lors de la perte d’un patient car, même si on sait que tout a été fait, on se demande : « Et si on était passé dans la chambre dix minutes avant ? », « Et si nous n’avions pas perdu du temps à enfiler casaque, tablier, gants, masque, visière, cela aurait-il pu changer quelque chose ? »
J’ai mal pour les médecins, dont la mission est de sauver des vies, et qui chaque jour de cette crise, sont obligés de s’avouer vaincus par ce virus. Je pense aussi aux professionnels de santé en ville qui rencontrent les mêmes difficultés et doivent gérer seuls des situations complexes.
J’ai mal pour les élèves infirmières, nommées « volontaires » d’office pour renforcer les équipes. Toutes mes nuits travaillées l’ont été avec des jeunes élèves infirmières faisant fonction d’aides-soignantes. Elles devraient être en train de travailler leur mémoire, d’être en stage d’apprentissage pour passer leur diplôme, et les voilà en première ligne dans les services, à côtoyer la mort et à devenir professionnelles avant l’heure. Toutes celles que j’ai rencontrées se montrent motivées, aidantes, efficaces. Si des soignants lisent ceci et qu’ils ont dans leur équipe de jeunes étudiants, s’il vous plaît, prenez le temps de leur demander ce qu’ils ressentent, autorisez-les à craquer, à pleurer. Aidez-les.
Vous pouvez lire Nathalie Roy sur son blog : jourdinfirmiere.unblog.fr