© D. R.
Sur son blog « Il était une fois en psychiatrie », Christophe, IDE dans ce service, raconte comment le port du masque peut nuire à la relation de soin, qui nécessite proximité. Germaine, son éternelle « vieille collègue », va l'inciter à l'enlever...
ll est deux heures du matin et M. D. veut mourir. Dans le petit jardin du service de psychiatrie, nous veillons ensemble sous la faible lueur d’un vieux lampadaire usé. Je cherche les mots justes pour soutenir cet homme et j’étouffe.
J’étouffe sous la mort de son enfant, sous sa terrible peine. J’étouffe sous sa détermination et sous mon impuissance. J’étouffe sous ce fichu masque et ce fichu virus qui m’empêchent d’être au plus près de lui, parasitent mes pensées, me musèlent. L’oxygène manque autant que les mots, les silences s’enchaînent, la distance s’installe et je désespère de ne pouvoir l’apaiser.
Quand soudain, ma vieille collègue Germaine nous rejoint. D’un regard, elle comprend mon désarroi, incapable que je suis de soutenir notre patient, et m’invite à retirer mon masque. Puis nous parlons tous les trois, longuement, à distance physique mais à visage découvert, dans une intimité retrouvée. De tout, de rien, de musique, de voyages, de mode, et des rhumatismes de Germaine qui nous font sourire enfin.
Dans cette douce nuit de juin, l’instant est maintenant suspendu, d’une absolue légèreté. Même le vieux lampadaire semble nous éclairer un peu plus. Je m’étonne de cette soudaine chaleur mais M. D. se sent mieux et va se coucher, promettant de nous appeler en cas de besoin.
« La nuit est bien meilleure quand elle est lumineuse, n’est-ce pas ? » me demande Germaine. Et je ne comprends pas. « C’est une bien étrange période que nous vivons aujourd’hui, continue-t-elle. Je n’ai jamais connu cela. Là où habituellement nous créons chaleur et proximité, cette pandémie nous impose froid et distance. Mais parfois, Christophe, quand l’instant est grave, nous devons nous interroger sur la priorité de la proximité plutôt que de l’éloignement. Ce soir, notre présence symboliquement moins lointaine, sans nos masques, a réchauffé l’instant, j’en suis persuadée. Les masques doivent protéger, pas l’inverse. Ainsi, quand ils freinent ou empêchent le lien avec un patient à grand risque suicidaire, où est l’urgence ? »
À nouveau, Germaine a raison. Grâce à ce petit rapprochement relationnel, cette ambiance allégée et ces sourires visibles pendant notre veillée d’un soir, notre patient a oublié un instant ses idées noires, et pu s’endormir d’un sommeil plus apaisé. Et définitivement oui, vraiment, la nuit est bien plus belle encore quand, tout autour de nous, viennent lumière et chaleur.
Retrouvez les précédentes aventures de Christophe :
“En attendant la prochaine partie de ping-pong”, où Christophe raconte comment un début de relation difficile peut se détruire à tout moment ;
“Et tu verras l'invisible”, où Christophe raconte comment un lien avec un patient peut devenir si fort que l'intuition s'en trouve sur-développée ;
“L'homme qui ne pleurait pas”, où Germaine apprend à Christophe à transgresser quelques règles, pour le bien-être du patient ;
“Quand tonne l'orage”, où Christophe apprend à adopter la juste distance thérapeutique ;
“Les sentinelles silencieuses”, où Christophe apprend qu'on ne peut pas toujours aider un patient ;
“Quelques secondes seulement”, qui narre sa rencontre avec Germaine ;
“Le chant des sirènes”, qui raconte comment elle lui a appris à dompter ses peurs.
Suivez les aventures de cet IDE en psychiatrie sur son blog.