Je ne peux pas, ça me dégoûte | Espace Infirmier
 

04/09/2020

Je ne peux pas, ça me dégoûte

Ni maton, ni « bonne à tout faire », Suzie Q narre ce qui se passe entre les murs de l’HP. Ce mois-ci, elle nous raconte un échange animé entre soignants autour de la délicate prise en charge d'un patient au passif d'agresseur sexuel.

Avec quelques années de plus, on lui aurait volontiers attribué le titre de gendre idéal. Mais pour l’instant il n’était qu’un gosse d’à peine 20 ans. Avec sa gueule d’ange, son corps musclé, tout chez lui témoignait de sa parfaite santé. Pourtant au-dessus de lui les nuages noirs s’amoncelaient. À l’inter-équipe, c’est lui qui accapare les échanges. Rapidement, les réactions sont épidermiques. Dans ces moments, il y a toujours une collègue pour s’affranchir de la prise en charge en lançant à la cantonade « Moi, j’peux pas ! » Et là, Sarah a beau déployer des ressources insoupçonnées de pleine conscience, elle fulmine.

« – Mais comment ça tu peux pas ? lui demande Sarah.

Mais ça, là, ça me dégoûte…

– Explique, j’vois pas…

– Oh tu charries Sarah, j’peux pas c’est tout. Ça m’dégoute ces pervers, les trucs avec les enfants…

– Parce que tu crois que, nous, ces actes ça ne nous dégoute pas, qu’on est insensibles aux violences sexuelles sur les enfants?

– J’ai pas dit ça…

– Non, mais presque. Parce qu’on le connaît ton “j’peux pas”. Il signifie que tu vas te tenir à distance de cette prise en charge, et que tes collègues vont faire le taf.

– On a toutes nos limites Sarah…

– Peut-être. Les connaître c’est bien, se retrancher derrière, c’est moins bien. On est infirmières en psy bordel, on doit faire preuve de discernement ! On ne peut pas confondre la personne, son histoire et son motif d’admission. Son passif d’agresseur sexuel – pour horrible qu’il soit – n’est là que pour éclairer son histoire, nous aider à le soigner. Pas pour le rejeter. »

Killian était un jeune bien inséré, élève doué, passionné de sport. Il encadrait les jeunes de son club de foot depuis des années. C’est là qu’il a dérapé la première fois. Un gosse de 7 ans quand lui en avait 15. Il y a quelques mois il a recommencé. Assigné à résidence à l’issue de sa garde à vue, il est hospitalisé pour idées suicidaires et ruminations anxieuses. Son employeur l’a lâché, son club de foot l’a exclu. Quant à sa famille, elle ne veut plus le voir. Mais ce patient face à nous n’est pas un monstre, juste un homme avec ses doutes et nuances. Aujourd’hui, sa demande est claire « Aidez-moi à prendre le contrôle de mes pulsions pour ne pas recommencer ». Alors oui, on peut le haïr, le crier haut et fort et s’en laver les mains. Ou alors, on peut mettre en œuvre nos compétences et tenter de répondre à sa demande. Exécrer les atrocités d’un individu ne doit pas empêcher l’action soignante. Au contraire.

Retrouvez les précédentes chroniques de Suzie Q :

- “Les derniers remparts face au pire”, sur les difficultés des professionnels de santé, en première ligne face au suicide ;
- “Infirmier aux mains sales”, sur l'enfer des injonctions contradictoires, bien souvent trop éloignées du réel des professionnels ;
- “Le calme après la tempête”, sur une admission imprévue ;
- “La bombe humaine”, sur cette étrange patiente parmi les têtes blanches, une vraie tornade ;
- “Les 30 secondes qui précèdent”, sur ce moment si particulier de la fin des transmissions ; 
- “Les bienfaits de l'ETP”, en plein cœur d'un débat sur l'ETP entre soignants.

Suivez les aventures de Suzie Q sur son blog : Suzie Q in the House of Madness.

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