Pour les patients hospitalisés, la douleur n'est pas seulement physique. La perte de leur intimité et une certaine infantilisation peuvent faire de gros dégâts psychiques. Par le Dr Guy Chatap, praticien hospitalier gériatre
(Chronique parue dans L'Infirmière magazine n°298,
1er avril 2012)
6 h 45, à l’hôpital. Les malades sont encore endormis. Les équipes de nuit et de jour finissent bruyamment leurs transmissions, une nouvelle journée commence. Les soignants s’égrènent dans le long couloir du service, s’interpellant à voix haute. Ils entrent dans les chambres surchauffées (sans frapper, sans refermer la porte derrière eux), actionnent immédiatement la lumière et tirent les rideaux.
« C’est l’heure ! On se réveille ! Il faut se dépêcher ! » Immédiatement, débute le ballet des changes. La première « victime » est Madame M., hospitalisée depuis peu, qui se voit retirer une protection inondée. Elle est pourtant continente mais, la veille, il lui a été conseillé de porter une couche et de « faire dedans en cas de besoin » ! Des odeurs agressives envahissent chambres et couloirs pendant que les médicaments sont attribués sans information aux patients, et les petits-déjeuners (café ou thé tièdes)
distribués.
Parallèlement, on procède aux toilettes. On habille les patients admis sans effets personnels avec des vêtements de prêt, de taille et de type parfois infantilisants. Vite ! Chacun doit être prêt pour les divers examens, consultations, interventions, desquels la plupart ne sont pas prévenus. Les soins infirmiers doivent être rapidement exécutés, il ne faut pas que le coursier qui transporte les prélèvements au laboratoire attende. Simultanément, les chambres sont nettoyées par des agents qui s’interrompent parfois pour une communication privée sur leur téléphone portable.
Cette narration condensée est volontairement caricaturale. Son objectif est de sensibiliser et d’alerter sur les douleurs inclassables et méconnues qui n’agressent pas directement le corps, mais retentissent sur le psychisme du patient, finissant par atteindre son intégrité psychocorporelle. Souvent provoquées de manière inconsciente et involontaire par les soignants, elles relèvent également de l’organisation du travail dans l’institution hospitalière. Ces douleurs négligées renvoient au respect, à la dignité, à la pudeur, à l’intimité.