La pénurie de personnel observée dans bon nombre d’établissements relève-t-elle d’une stratégie délibérée ? La question peut se poser devant la généralisation et la similitude des situations. Par Guy Chatap, gériatre à l’hôpital René-Muret–Bigottini, Sevran (93).
(Chronique extraite de L'Infirmière magazine n°268, 1er décembre 2010)
Le mal-être s’installe partout dans l’hôpital, de façon « systémique », comme l’on dit maintenant. Le manque de personnel soignant semble gangrener tout le système hospitalier : mettre de la qualité dans les soins prodigués aux patients relève de plus en plus de considérations individuelles. Alors que cela devrait être le cœur d’une politique de santé, nous assistons, impuissants à une déshumanisation rampante des soins.
Faute de soignants, des services d’urgences ne peuvent plus accueillir les populations dans des conditions de sécurité sanitaires minimum (à Tenon, Antoine-Béclère, Bichat, Jean-Verdier, Saint-Louis, Saint-Antoine et bien d’autres) ; des patients dialysés sont transférés sur d’autres centres ; on assiste à la fermeture de lits d’hospitalisation, d’unités de soins, de blocs opératoires, voire de services.
Lorsqu’un soignant est absent (maladie, maternité, événement familial), il n’est pas remplacé… même si, parfois, il est possible de croiser dans un couloir une intérimaire – lorsqu’elle n’a pas pris la poudre d’escampette, effrayée et désemparée par l’ampleur de la tâche qui lui est présentée, et surtout par les conditions de travail en place. En effet, de plus en plus souvent, les services hospitaliers fonctionnent en routine avec un effectif minimum dit « de sécurité », destiné en principe à répondre aux situations exceptionnelles (grève par exemple).
Risques accrus
Les personnels présents, débordés par l’ampleur des tâches, sont au bord de la rupture, ce qui s’exprime par un stress souvent contagieux, une démotivation individuelle ou collective, des manifestations et des grèves sporadiques, un risque accru d’erreur professionnelle, un taux d’absentéisme élevé, des situations tendues entre soignants, des demandes de mutation, voire des démissions de l’institution. Ils se retrouvent, de plus, en première ligne face au mécontentement des malades et de leur entourage, parce qu’ils ne peuvent leur donner la valeur ajoutée indispensable au soin technique, l’écoute, le temps et la compassion. De plus en plus souvent, des actes de soins sont réalisés par du personnel certes de bonne volonté, mais sans qualification ni formation, avec tous les risques que cela comporte.
La stratégie actuelle, qui pousse à construire un hôpital-entreprise, avec la lutte contre les déficits et la recherche de créneaux économiquement rentables, conduit à créer des activités «qui rapportent » (consultations spécialisées , hospitalisations de très courte durée…), mais les personnels qui leur sont affectés sont recrutés sur les effectifs existants, réduisant davantage le quota de soignants autour du patient hospitalisé. Ce qui devient dramatique, en particulier dans les structures déjà en situation critique accueillant des personnes souvent âgées et fragiles.
Concilier qualité et économies ?
Bien sûr, le discours officiel nie l’existence d’un sous-effectif chronique à l’hôpital public, alors que celui-ci touche toutes les catégories de personnels, des médecins aux aides-soignants, en passant par les infirmiers et les rééducateurs : les suppressions de postes annoncées se chiffrent par milliers, et les recrutements vrais sont exceptionnels. Pourtant, il doit être possible de concilier qualité des soins et réduction de nombreux coûts.
Mais tout se passe actuellement comme si la dislocation de l’hôpital était programmée, voulue et malheureusement organisée. Faut-il se résigner?
À lire également : les chiffres de la Drees sur la démographie de la profession