Le devoir de réserve explique-t-il à lui seul le silence des infirmières ? Par Anne Perraut Soliveres, directrice de la rédaction de la revue « Pratiques »
(Chronique parue dans L'Infirmière magazine n°280,
1er juin 2011)
Si le devoir de réserve est un principe dont on peut imaginer le bien-fondé, on devrait définir d’urgence à quoi il est censé servir, et, surtout, en dessiner les limites. En effet, ses effets pervers et les dégâts collatéraux sont, eux, faciles à observer. Le devoir de réserve s’oppose-t-il à la liberté d’expression, voire au droit d’expression des salariés ?
Il semblerait, pour le moins, qu’il contribue à les faire taire, si l’on en juge les pressions, réelles ou fantasmées, évoquées par les soignants pour justifier leur frilosité à s’exprimer publiquement sur les conditions dans lesquelles ils sont conduits à exercer. C’est ainsi que les infirmières ne témoignent quasiment que sous pseudo, cachant soigneusement tout indice qui pourrait permettre de les identifier.
Or, le silence nuit à la profession, comme il nuit à la condition des patients. C’est dans son ombre complice que se dégradent de façon visible, chaque jour un peu plus, les conditions de travail des soignants, la qualité des soins et donc l’estime de soi de toute une profession. Les difficultés d’accès aux soins, les retards de prise en charge de pathologies lourdes tendent à devenir « normaux », comme la déshumanisation galopante qui les accompagne.
Pourquoi entend-on si peu les soignants sur le sujet des négligences engendrées par la libéralisation sans scrupules de l’organisation des soins ? Le désarroi des infirmières et de leur encadrement se révèle par le surgissement d’une souffrance exprimée de multiples façons, allant jusqu’à des pathologies dites « de surcharge », qui affectent gravement les plus consciencieux des soignants. Il faudrait prescrire aux infirmières un petit flash de courage, quelques onces de transgression, pour que se révèle un esprit critique salutaire. Leur prescrire la révolte ?
Ancienne cadre supérieure de santé, Anne Perraut Soliveres est aujourd'hui praticien-chercheur en sciences de l'éducation et directrice de la revue « Pratiques, les cahiers de la médecine utopique ».