Délicate reconstitution des chimiothérapies à domicile

21/04/2011

Délicate reconstitution des chimiothérapies à domicile

La préparation des produits de chimiothérapie n’est pas anodine, comme le montre un incident récent. À l’AP-HP, la centralisation de la production des poches anticancéreuses pour l’HAD est en cours. Trop lentement, déplorent certains.

Des irritations à la gorge. Ce sont les effets qu’ont ressentis, à la mi-mars, un infirmier exerçant en hospitalisation à domicile (HAD) à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), ainsi qu’une aide-soignante et la femme d’un patient, soigné chez lui pour cancer. Des symptômes imputés à la reconstitution par l’infirmier de trois produits anticancéreux (1). En cas d’exposition du soignant, cette tâche risquée peut provoquer irritations, maux de tête...

L’incident, déclaré comme événement indésirable, a suscité des inquiétudes. Des IDE, estimant faire face à un danger grave et imminent lors de cette pratique, ont exercé un droit généralement peu usité par le personnel soignant : le droit de retrait. Combien ? Sept unités, totalement ou partiellement, selon la CGT. La direction le confirme : 42 infirmières (sur 188 exerçant en soins adultes en HAD, soit plus d’une sur cinq) de sept unités utilisaient leur droit de retrait au 13 avril.

Après l’incident, suivi selon la CGT d’une mention aux registres de danger grave et imminent, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la HAD s’est réuni, comme doit le faire le CHSCT central de l’AP-HP, le 4 mai, sur la préparation des chimiothérapies dans toute l’AP-HP. De plus, plusieurs syndicalistes indiquent que l’inspection du travail suit le dossier particulièrement depuis le début de l’année (2).

L’incident serait-il la goutte qui fait déborder le vase ? En tout cas, les droits de retrait témoignent sans doute d’une impatience. D’un « ras-le-bol ». Sur ce sujet sensible, la CGT demande, « pour protéger les agents », l’application de l’arrêté du 20 décembre 2004 et la centralisation de la production des poches anticancéreuses. Une revendication partagée par Sud ou encore la CFDT. « On nous avait annoncé cette centralisation pour fin 2008. On a l’impression que ça traîne... », glisse une infirmière de Sud.

L’échéance de 2012
Pour limiter les risques encourus par le personnel soignant, une solution consiste effectivement à retirer aux infirmières la tâche de reconstitution en centralisant en amont la production des poches anticancéreuses pour la HAD. Cette procédure de centralisation a été lancée à l’AP-HP en novembre 2009.

La centralisation des chimiothérapies de tous les établissements de l'AP-HP devrait être terminée fin 2012. À cette date, selon la direction, le logiciel de prescription Chimio®, qui sera installé dans chaque établissement, pourra communiquer avec celui de la pharmacie à usage intérieur de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), qui réalisera alors la totalité des poches pour la HAD – environ 8 000 préparations par an, selon l’HEGP. Et les infirmières se chargeront de la seule administration.

La première étape est donc d’implanter Chimio® dans chaque établissement. « Nous sommes demandeurs depuis des années, mais cela ne dépend pas de la HAD, souligne Marie-Agnès Guéraud, coordonnatrice des soins en HAD. Si le logiciel était implanté sur tous les hôpitaux, l’Hôpital européen Georges-Pompidou pourrait déjà reconstituer les chimiothérapies. Mais le déploiement est techniquement long à réaliser. » Centraliser au plus vite les reconstitutions : sur ce point, direction et syndicats affichent les mêmes ambitions...

Contraintes de sécurité
La mise en relation, grâce à une interface informatique, de l’HEGP et de tous les hôpitaux est également indispensable. Mais « les paramétrages de Chimio® sont différents selon les établissements, notait l’Inspection générale des affaires sociales dans son rapport de juillet 2010 sur le circuit du médicament à l’AP-HP. (...) Une version spéciale HAD compatible avec toutes les versions de Chimio® est en cours de finalisation. » Il en existe une « version définitive » depuis février 2011, indique-t-on à l’HEGP.

Pour le moment, seules les poches pour la HAD prescrites à l’HEGP sont réalisées à l’HEGP – soit 274 préparations par an, pour 19 patients, « sous forme de seringues ou de poches prêtes à une injection parentérale ». Pour les autres établissements, ce sont les infirmières de la HAD qui préparent, au domicile du patient, les chimiothérapies prescrites. Dans ce cas, avec des contraintes de sécurité codifiées. « L’infirmière porte des lunettes de protection, un masque à usage unique (FFP3), une casaque hydrophobe à manches longues à usage unique, des gants stériles à usage unique à manchettes longues "chimioprotect", une charlotte, détaille Marie-Agnès Guéraud. Nous testons, par ailleurs, un système clos que nous avons acheté et dont le déploiement a commencé. »

« Défaut de pratique »
La coordinatrice des soins explique l’incident de la mi-mars par « un défaut de pratique : si l’infirmier avait adapté son masque et utilisé le petit percuteur prévu entre la seringue et le produit, il n’y aurait pas eu, a priori, d’effet indésirable. Il l’a reconnu. Il n’a pas eu d’arrêt de travail et dès le lendemain, il a refait une chimiothérapie. » Quant à l’aide-soignante, « elle se tenait dans la pièce voisine », comme la conjointe du patient. La responsable précise avoir rappelé les règles à respecter et le matériel à utiliser dans une note.

De quoi satisfaire toutes les infirmières ? Le système clos est « compliqué », exigeant d’ailleurs une formation, déplore Annick Picard, membre (CGT) du CHSCT central. « Quelque chose est enfin proposé pour nous protéger un peu plus, mais nous serons parmi les premiers à l’utiliser à domicile en France, s’inquiète l’infirmière de Sud citée plus haut. Et ça n’enlève pas tous les risques. » Et de regretter, par ailleurs, un manque général de formation – jusqu’ici. Le rappel des règles de protection, lui, « n’est pas suffisant, note Annick Picard. On ne peut plus reconstituer les poches sur la table de la cuisine, entre les carottes et les tomates... » « Il faut une protection collective, assurée grâce à la centralisation de la production des poches, et non [uniquement] individuelle », renchérit un membre (Sud) du CHSCT de la HAD.

Personne ne remet en cause les traitements anticancéreux à domicile, ni la HAD en général : c’est bien la question de la protection du personnel qui est posée.

Texte et photo
Mathieu Hautemulle

1- 80 % des cures concernent deux types de produits.
2- À propos des chimiothérapies à domicile à l’AP-HP, l’inspecteur du travail de l’HAD a notamment fait un signalement au procureur de la République, début avril, pour rappeler la réglementation, indiquent la CGT et Su
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