Dans le cadre de ses consultations tous azimuts sur le chantier de la dépendance dont elle est chargée, Roselyne Bachelot a convié les syndicats infirmiers à une table ronde. Au programme des échanges, la future architecture de la prise en charge de la dépendance, son financement, les perspectives qu'elle offre à la profession infirmière.
Sans plus de détail, l'agenda de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale Roselyne Bachelot affichait jeudi 21 avril à 10h une « table ronde avec les syndicats d'infirmières sur le thème de la dépendance ». Ont répondu présent le SNPI CFE CGC et la CNI pour les salariés et Sniil, CI, Onsil du côté des libéraux. Ce « premier tour de piste » avant remise du projet ministériel prévue pour fin juin a permis d’évoquer « le financement et la gouvernance » de la future prise en charge de la dépendance, selon le secrétaire général du SNPI Thierry Amouroux. Accompagnée de sa secrétaire d’Etat Marie-Anne Montchamp, de son directeur de cabinet et d’un médecin, la ministre, a « surtout écouté » et « avoué avoir beaucoup appris », s'amuse Anne Seiglan, administratrice de l’Onsil. « Nous avons eu l'occasion d'insister sur notre vision des choses », renchérit Marcel Affergan, président de CI.
Un empilement d’acteurs
« La prise en charge de la dépendance sur le terrain, ça ne doit pas être du social avec un peu de poudre sanitaire. C'est bien ici que le rôle infirmier s'impose : coordonner les acteurs pour agir contre la perte d'autonomie», affirme M. Affergan. Même conviction chez la présidente du Sniil Annick Touba, qui avait croisé lundi la ministre lors du premier débat interdépartemental sur la dépendance organisé en Pays-de-la-Loire : « Les infirmiers libéraux, c’est 3,6 milliards d’euros d’actes effectués, et ce chiffre augmente de 8,2% chaque année. Parmi ces actes, 60% sont destinés à la dépendance », rappelle-t-elle. Historiquement, « on est formées, contrairement aux médecins. On assiste à un empilement de structures d'aides et d'acteurs, mais pour y voir plus clair, il est important que quelqu'un coordonne ces services et l'infirmier est le mieux placé pour cela. Il y a notamment tout un travail d'évaluation de la pathologie qui ne peut pas être confié à n'importe qui », prévient-elle. « Notre formation est polyvalente et adaptée », appuie Anne Seiglan.
La qualification des professionnels amenés à superviser la prise en charge de la dépendance à l’avenir est aussi source de préoccupation pour le SNPI qui déplore au passage la réduction du nombre d’heures consacrées aux personnes âgées dans le nouveau référentiel de formation infirmière. « Le risque que l’on constate déjà, c’est de mettre des gens peu qualifiés, peu formés, peu payés pour s’occuper de personnes âgées avec tous les risques que cela comporte en termes de maltraitance ou en tout cas d’absence de bientraitance », observe Thierry Amouroux, qui juge nécessaire qu’un professionnel de santé assure la supervision de la prise en charge. S’il n’est pas question de dire « qu’il faut une infirmière 24 heures sur 24 pour tout faire », poursuit-il, la présence d’un professionnel de santé diplômé, capable de « réajuster » les choses en permanence doit permettre d’éviter que « des gens peu qualifiés agissent sans contrôle auprès de publics fragiles comme les personnes âgées ou handicapées, d’autant plus fragiles que leur parole est susceptible d’être mise en doute comme c’est le cas des malades Alzheimer », analyse-t-il.
DSI et pratiques avancées
Des outils pour construire cette coordination des différents acteurs professionnels de la dépendance existent déjà, comme la démarche de soins infirmiers (DSI), mise en place il y a une dizaine d'années pour assurer notamment l'articulation médecin/médico-social, mais hélas trop peu utilisée. «Une fois la DSI mise en place, la coordination devait suivre mais on ne la voit toujours pas», regrette ainsi Annick Touba. Pourtant, de l’avis de tous, le décret de compétences des infirmières leur donne un rôle autonome sur la dépendance, les soignantes n'étant pas placées sous le médecin. Mais encore faut-il faire évoluer les mentalités. Le chantier des pratiques avancées permettra peut-être de faire bouger les choses. C’est en tout cas ce qu’espèrent la CNI et le SNPI. Ce dernier souhaite que l’on s’inspire du rapport de juillet 2010 sur les pratiques avancées infirmières dans douze pays de l'OCDE qui montre que la coordination de la prise en charge de la dépendance par un infirmier de niveau master présente de multiples avantages. « Les patients se sentent mieux pris en charge car l’infirmière leur consacre davantage de temps et se sentent plus en confiance pour aborder certains sujets personnels ou intimes avec elle qu’avec le médecin », commente Thierry Amouroux. Le développement de pratiques avancées infirmières aurait également l’avantage d’économiser un temps médical amené à faire cruellement défaut dans les années à venir, ce qui présenterait par la même occasion un intérêt économique puisque « la prise en charge infirmière, fléchée comme telle, revient moins cher », ajoute le président du SNPI.
Pour la profession infirmière enfin, ces pratiques avancées seraient des plus salutaires. Elles constitueraient « une perspective d’évolution » propre à renforcer une attractivité en berne. « On forme de moins en moins de cadres de santé et d’infirmières spécialisées », déplore ainsi Thierry Amouroux, pour qui les pratiques avancées permettraient de « donner un élan nouveau » à la profession.
"Dépendance" versus "autonomie"
Posée par la ministre, la question « comment financer ce cinquième risque ? » n’a pas mis les représentants syndicaux infirmiers très à l’aise. « Ce n’est pas trop à nous de nous prononcer sur ce sujet », estime en effet la présidente de la CNI Nathalie Depoire. Toutefois, « si l’on donne sa place à la profession infirmière dans ce dispositif, on s’aperçoit qu’on est du même coup dans une logique d’économies », note-t-elle, regrettant « que le sujet soit abordé sous l’angle de la 'dépendance' », terme auquel elle préfère résolument celui d’ « autonomie », dans les expressions « préservation de l’autonomie » et "accompagnement à la perte d’autonomie », qu’il s’agisse de personnes âgées ou handicapées. Le coût de la dépendance est évalué à une trentaine de milliards d'euros dont une partie déjà financée par l'Assurance maladie, mais cinq milliard resterait à la charge des familles. « Trop ! », répondent en chœur les syndicats. Plusieurs possibilités de financement sont en discussion : fonds publics, ticket modérateur, rôle des assurances ou « TVA sociale » comme le souhaite le SNPI. « Nous sommes en tout cas tous d'accord pour un financement par la solidarité nationale », résume Anne Seiglan, de l'Onsil.
Représentants de salariés et libéraux se sont par ailleurs entendus sur l'encombrement des urgences le week-end et le problème de ces personnes âgées qui rentrent à domicile sans encadrement. « Nous sommes la dernière profession libérale à assurer la permanence des soins 24h/24 », constate Mme Seiglan.
Au bout d’une heure et demie de réunion, les syndicats présents se sont engagés à adresser à la ministre un document écrit avec leur synthèse de la table ronde et leurs attentes d’ici un mois.
Texte: Cécile Almendros et Candice Moors
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