Dans la maison de santé de Saint-Amand-en-Puisaye (Nièvre), ce sont les secrétaires médicales qui adaptent les doses d’anticoagulant des patients. Une mission qui revient d’ordinaire aux médecins.
Cette forme de délégation de tâches est, certes de nature expérimentale, mais suffisamment lourde de conséquences pour que la fédération nationale des infirmiers (FNI) tire la sonnette d’alarme*. C’est par un simple document diffusé par la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) le 13 janvier**, présentant l’état d’avancement des expérimentations des nouveaux modes de rémunération destinés aux professionnels de santé libéraux et à ceux exerçant en centre de santé que la FNI a découvert l’existence de cette pratique. Plusieurs expérimentations lancées sur le premier trimestre 2009 y sont brièvement présentées, disséminées sur six régions. Ces expérimentations, rappelons-le, ont été initiées par l’article 44 de la LFSS (loi de financement de la sécurité sociale) pour 2008 qui prévoyait la possibilité d’expérimenter, sur une durée de cinq ans, des alternatives au paiement à l’acte. Ces expérimentations entrent en résonance avec les Capi (contrat d’amélioration des pratiques individuelles) dont la mise en œuvre, sur une base volontaire, est actuellement en discussion entre l’Uncam et les syndicats de médecins libéraux dans le cadre des négociations conventionnelles médicales.
Vers un exercice illégal de la médecine
Se référant à l’article R 4127-30 du Code de la santé publique définissant l’exercice illégal de la médecine et la complicité en la matière, Philippe Tisserand, président de la FNI, s’interroge sur «la responsabilité professionnelle des médecins qui, selon la DSS, délèguent à leurs secrétaires médicales une activité pour laquelle elles ne sont ni qualifiées, ni autorisées par la loi. D’autant que, dans ce cas précis, il s’agit d’anticoagulants dont on sait que les doses efficaces sont très proches des doses potentiellement létales».
Cette pratique mise en place dans la maison de santé amandinoise est qualifiée «d’innovante» et de «modèle de référence» dans le document édité par les services du ministère de la Santé (DSS-Dhos). Elle consiste pour les médecins généralistes à déléguer à des secrétaires médicales le suivi et l’adaptation des doses d’AVK*** en fonction des résultats d’INR (international normalized ratio). Dans la maison de santé «pilote», la DSS avance sur une période d’un an, la réduction de 50 % des consultations médicales pour 60 patients, générant une économie de 6.600 euros. La FNI s’interroge sur la pertinence des indicateurs d’efficience des prescriptions avancée par la DSS dans ce dossier et d’un «raisonnement économique d’aussi courte vue en regard des risques iatrogéniques».
Une délégation des tâches poussée à l’extrême
La fédération alerte le conseil national de l’ordre des médecins et les services ministériels concernés sur les risques sanitaires inhérents à une telle pratique, «au moment même où les libéraux de santé lancent une grande campagne de communication pour alerter l’opinion et les parlementaires sur les conséquences de l’étatisation du système de soins ambulatoires contenue dans la loi HPST et les risques d’une santé au rabais». La FNI ne doute pas que «l’Ordre national des médecins et l’Académie de médecine sauront apprécier, avec la même rigueur qu’ils l’ont fait pour la revaccination antigrippale par les infirmiers, cette pratique en cours dans la maison de santé amandinoise». Dans le cas présent, «les médecins délèguent non seulement une activité n’entrant pas dans la liste des actes médicaux pouvant être délégués aux auxiliaires médicaux, comme le prévoit le Code de la santé publique, mais de surcroît à des personnes n’ayant aucune qualification médicale ou pharmacologique», souligne Philippe Tisserand. L’Académie de médecine lui a déjà fait savoir qu’elle analyserait avec soin sa requête et la DSS s’est engagée à le recevoir. Les réactions du Cnom et de l’Ordre infirmier sont encore attendues. Le leader de la FNI affiche clairement sa stratégie : «la semaine prochaine, l’assemblée nationale examinera le titre sur les coopérations. Mais, avec ce genre d’expérimentation, on entrevoit ce qui risque de se passer sans réaction de notre part». Le moment idéal pour lancer un pavé dans la mare », ajoute-t-il.
Candice Moors
* la lettre adressée au Cnom est téléchargeable sur le site de la FNI
http://www.fni.fr/IMG/pdf/Ordre_des_medecins_-_Experimentation_des_nouveaux_modes_de.pdf
** une plaquette que s’est procurée espaceinfirmier.com
** Les AVK (antivitamines K) sont des anti-thrombotiques administrés par voie orale, permettant de lutter contre la formation de caillots sanguins dans les vaisseaux. En France, 500.000 patients sont traités par cette classe médicamenteuse, qui entraîne cependant des effets indésirables liés à un mésusage, responsable annuellement de 18.000 hospitalisations et de 15.000 hémorragies cérébrales (Inserm, 2004). Plus d’infos dans Le Cahier de formation de L’Infirmière libérale magazine n°236 d’avril 2008 - « Les patients sous AVK »