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03/03/2023

Développer une approche holistique de la santé publique

Alice Desbiolles, médecin de santé publique, épidémiologiste et cofondatrice de l’Alliance Santé Planétaire vient de publier un livre (1) où elle tire les enseignements de la crise sanitaire liée au Sars-Cov2 pour envisager la santé publique de demain dans un monde en transition. Elle en trace ici les grandes lignes.

Vous défendez une approche holistique de la santé publique, en quoi consiste-t-elle précisément ?

La vision holistique existe, elle est portée par certains professionnels dont je suis (je ne suis pas la seule) mais elle n’est pas mise en pratique. Elle n’est pas présente dans la praxis du soin de manière générale. Aujourd’hui, on se concentre beaucoup sur la médecine physique et sur des indicateurs quantitatifs. On oublie souvent les dimensions mentale et sociale de la santé qui sont cruciales. Et de manière globale, au-delà de la pratique médicale ou infirmière, nous n’avons pas cette culture de l’accompagnement dans le domaine du médico-social, des femmes victimes de violence ou du placement des enfants. En médecine, dès la Faculté et ensuite dans la pratique à l’hôpital, on découpe les individus, on les parcellise en indicateurs quantitatifs et en seuils. On ne voit qu’une maladie et pas une personne dans sa globalité, avec ses épreuves, ses inquiétudes, ses vulnérabilités et ses forces. Or il faudrait prendre en compte la personne dans son ensemble.

Que manque-t-il pour parvenir à intégrer cette vision de la santé ?

Je ne pense pas que les conditions soient actuellement réunies pour permettre une prise en soin plus globale car cela nécessite du temps, moins de patients par professionnel de santé, et une formation adéquate en Humanités. Qu’il s’agisse de la sociologie, la philosophie, l’anthropologie, l’épistémologie, l’histoire de la médecine. À l’heure actuelle, on considère qu’une bonne médecine est avant tout une médecine technique qui apporte certains résultats. On se concentre par exemple sur le fait que le patient reste en dessous de certains seuils normalisés sans s’occuper de la croissance de son bien-être ou de sa puissance de vie… Les professionnels du soin ne doivent pas se cacher derrière trop de technique ou trop d’indicateurs, ils doivent se réapproprier une culture de l’accompagnement. Cela passe par se concentrer sur la prévention qui permet cette approche globale des individus. Il faut changer de paradigme et passer à une médecine beaucoup plus préventive que curative. Aujourd’hui, le temps d’information aux patients et de prévention n’est pas valorisé pour les professionnels de santé, la prévention n’est pas rémunérée. À mon sens, le changement passe aussi par une réforme de la formation des médecins et de tous les paramédicaux, en insufflant plus d’Humanités ce qui permettrait d’élargir le spectre. Mais attention, je ne dis pas que c’est aux soignants de tout résoudre !

Est-ce que la pluridisciplinarité peut être une solution pour impulser ce changement dans la prise charge de la personne ?

C’est un postulat fondamental pour rénover le système de santé et de prévention. La pluridisciplinarité doit s’incarner dans la praxis du soin avec des médecins, des infirmières, des kinésithérapeutes, des ostéopathes, des nutritionnistes, des diététiciens, des psychologues afin que tout le monde puisse agir et travailler en bonne intelligence. Et bien sûr, il est nécessaire de l’incarner à l’échelle du territoire, avec notamment les maisons de santé pluridisciplinaires et les CPTS. Il faut aussi renforcer les délégations de tâches. Il est fondamental que les infirmières, les sages-femmes et les médecins soient mieux formés à une approche davantage pluridisciplinaire dès le départ. Nous avons tous à gagner, les patients aussi, à ce que les professionnels soient plus autonomes.

Selon vous, la crise sanitaire du SARS-COV2 a été un rendez-vous manqué ?

Complètement. Et c’est un paradoxe. Au nom de la santé, nous avons fait tout ce qui était possible de faire pour dégrader et abîmer la santé sans même investir dans le système de santé. Si nous avions adopté une gestion de crise plus nuancée, proportionnée, mesurée et efficace, non seulement, il y aurait eu sans doute moins de souffrance, de désespoir, et de dommages collatéraux liés au Covid, mais nous aurions pu investir beaucoup plus largement dans le système de santé dans son ensemble. Que ce soit à l’hôpital, en médecine de ville, en PMI, en médecine scolaire ou en médecine du travail afin de repenser le système dans sa globalité.

Restez-vous optimiste pour l’avenir ?

Je suis pleine d’espoir et d’espérance. Sur le terrain, je vois énormément d’initiatives et de volonté qui empruntent la voie à laquelle j’invite qui est humaniste, globale et pluridisciplinaire. Une voie qui inscrit la santé dans toutes les limites planétaires et intègre les défis environnementaux. Et j’ai bon espoir que de plus en plus de soignants empruntent cette voie, et réinventent la pratique du soin et la pratique de la santé publique.

Propos recueillis par Isabel Soubelet

1- Desbiolles A., Réparer la santé. Démocratie, Éthique, Prévention, éd. Rue de l’échiquier, collection Les Incisives, 112 pages, 12 €. 

FOCUS

Dans cet essai, Réparer la santé. Démocratie, Éthique, Prévention, Alice Desbiolles, médecin de santé publique, épidémiologiste et membre du collège des fondateurs d’Alliance Santé Planétaire, tire les enseignements de la crise sanitaire liée au Sars-Cov2 pour envisager la santé publique de demain, dans un monde en transition et souvent en crise. Elle mène un travail fouillé, argumenté et documenté qui questionne les décisions prises et leurs conséquences sur l’ensemble de la population. Dans cette réflexion critique, elle défend une approche holistique et démocratique de la santé et propose une lecture nuancée et pluridisciplinaire (psychiatrie, pédiatrie, médecine de ville, recherche en sciences sociales…) à l’image de l’approche « One Health » des enjeux sanitaires, au-delà des seuls indicateurs chiffrés. Elle rappelle que « pour échapper à l’ère des pandémies, nous devons nous concentrer sur la prévention des émergences. » Une démarche qui nous demande de « réinventer notre rapport au vivant, et à notre mode de consommation et de production. » Construire une santé publique, plus efficace, éthique et soutenable, basée sur les impératifs de prendre soin, de préservation de l’autonomie et des libertés tout en tenant compte des limites de la science, de la technique et de la planète, est la vision qu’elle défend. Un essai qui porte haut et fort une médecine du soin qui se préoccupe des patients plutôt que de la seule maladie. On ne peut qu’y adhérer. I.S.

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