Deux mois après la remise à la ministre de la Santé du rapport Jacquat sur l’éducation thérapeutique du patient, la Fédération nationale des infirmiers apporte sa pierre à l’édifice, sur un mode critique.
Il faut se baser sur le «principe de réalité», sur l’existant: ce sont les infirmières qui se rendent au chevet du malade, il leur revient de s’occuper de l’éducation thérapeutique des patients. Cet argument, Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmières (FNI) entend le faire comprendre à Elisabeth Hubert, dans le cadre de sa mission sur la médecine de proximité. «Les 20% de patients qui génèrent le plus de dépenses sont ceux qui sont visités quotidiennement ou en en tout cas très régulièrement par les infirmières», plaidait-il jeudi lors d'une conférence de presse. Et enfonce le clou: «On n’a pas besoin d’attendre des coopérations interprofessionnelles basées sur des transferts de tâches.» D’autant plus, relève-t-il, que les infirmières ont déjà su faire progresser leur rôle et leurs missions auprès du patient. Par exemple, elles adaptent depuis longtemps les doses d’insuline des diabétiques. Dans le champ de la douleur, elles peuvent initier un protocole préétabli. L’Assurance maladie elle-même «a su développer des programmes d’éducation thérapeutique pour les femmes en post-partum à domicile en s’appuyant sur les sages-femmes libérales». De quoi, selon Philippe Tisserand, donner des idées en ce qui concerne les infirmières et les patients chroniques.
Télésanté prometteuse
Partant du principe que le quotidien des infirmières libérales est de prendre en charge des patients polypathologiques et qu’elles recueillent chaque jour des données cliniques que finalement personne n’utilise, la FNI entend faire comprendre qu’il ne reste qu’à structurer ces prises en charge avec la télésanté, en mettant notamment en place un dossier infirmier informatisé intégré au dossier médical personnel pour que la sauce prenne. «Sans refaire le monde, on pourrait optimiser nos ressources», souligne encore Philippe Tisserand, qui suggère aussi que les infirmières puissent activer les défibrillateurs dans certains pacemakers pour lesquelles cette fonction n’a pas été mise en service au moment de la pose. Les industriels du secteur seraient d’ailleurs demandeurs, ayant bien compris tout l’intérêt qu’il y a à recourir à cette profession plutôt que d’envoyer des techniciens au domicile des patients.
Rémunération à inventer
Aujourd’hui, si les infirmières peuvent en théorie participer à l’éducation thérapeutique des patients, il n’existe pas de traduction en termes de nomenclature. L’ETP repose sur la bonne volonté des professionnels. «Une infirmière qui a un DU en éducation thérapeutique ne touche rien», fustige ainsi Laurence Bouffette, infirmière coordinatrice en accompagnement et éducation thérapeutique du patient (AETP). «On pourrait envisager une rémunération forfaitaire», suggère la FNI. Et Philippe Tisserand de pointer que le rapport Jacquat plaide pour que les maisons pluridisciplinaires soient la référence en matière d’ETP et que ce soient les structures qui perçoivent la rémunération, à charge pour elles de redistribuer ou non les forfaits aux professionnels. Une possibilité que refuse la fédération, qui préfère voir le forfait versé directement aux libérales.
Sandra Serrepuy
Photo: Philippe Chagnon
Une attaque en règle contre le rapport Jacquat
La FNI vient de publier une prise de position intitulée : Éducation thérapeutique : contre-propositions au rapport Jacquat (fichier disponible ci-dessous). Elle salue d’abord «une analyse correcte de la situation», c’est-à-dire le retard pris par la France dans cette pratique, ainsi que son caractère très hospitalo-centré. Mais elle relève «trois incohérences rédhibitoires». Elle regrette que le rapport Jacquat reprenne la distinction faite dans les textes (loi HPST, en particulier) entre les programmes médicalisés, les actions d’accompagnement et les programmes d’apprentissage. La FNI plaide pour faire converger l’ETP et les soins prodigués aux malades chroniques. Dans un second temps, elle critique le fait que le rapport «place le médecin traitant au cœur de l’action d’éducation des patients», observant qu’il vaudrait mieux capitaliser davantage sur les compétences des infirmières en la matière. Enfin, le syndicat s’interroge sur l’intérêt de faire des maisons de santé pluridisciplinaires le fer de lance de l’ETP en ambulatoire, ce qui reviendrait «à miser sur le développement de structures durablement isolées» et, pour la plupart, pas opérationnelles immédiatement. N.C