Le documentaire « Ici je vais pas mourir » propose une plongée dans le quotidien de la salle de consommation à moindre risque de Paris. Ici, la parole est respectée, loin de toute stigmatisation, les consommations et produits sont laissés de côté pour rentrer en profondeur dans des vies cabossées qui cherchent une voie salvatrice.
Marco, Cilo, Julie, Hervé, Jeff, Baguette vont et viennent. Ils se croisent, se retrouvent, se demandent où sont passés les uns et les autres. Ils sont tous usagers de la salle de consommation à moindre risque (SCMR) de Paris, ouverte depuis octobre 2016, qui s'adresse aux personnes majeures usagères de drogues par voie intraveineuse. Ces murs que l'on appelle plus vulgairement « la salle de shoot » leur offre un espace sécurisé qui encadre leur consommation (matériel, écoute, soins...) pour éviter le pire. Deux documentaristes, Cécile Dumas et Edie Laconi, les ont filmés pendant un an et demi dans le huis clos de ces murs singuliers, seuls repères dans des parcours de vie chaotiques. Un documentaire saisissant où les seuls indicateurs du temps qui passent sont les visages des personnes concernées, parfois lumineux, parfois sombres.
C'est Cécile Dumas qui a eu l'idée de ce film. Habitante du quartier où la SCMR a été établie, elle est témoin depuis plusieurs années des tensions liées à la toxicomanie dans ce coin de Paris, la difficile cohabitation et l'inefficacité de la répression. « Quand la mairie du Xe arrondissement a annoncé qu’elle voulait ouvrir une salle de consommation à moindre risque, ça m’a tout de suite intéressée en tant que citoyenne, et très vite j’ai eu envie de rendre compte de tout ce que cette innovation sociale soulevait de questions, de réticences, d’oppositions mais aussi de soutien, commente la réalisatrice. La réduction des risques est une autre approche qui bouscule l’idée simple que la solution c’est le sevrage, point. »
Microsociété pour ceux qu'on ne veut plus voirMais Ici je vais pas mourir témoigne de bien plus que cela. Cette salle est une microsociété où des gens en rupture ont pu retrouver un lien social, un espace d'apaisement. « Dehors c'est tout le temps le danger. Je viens à la salle et la peur retombe », confie l’une des personnes suivies. « La salle est une île, une halte hors de la violence du dehors », appuie Cécile Dumas.
Le film entend palier la méconnaissance autour de ces lieux de consommation qui ne sont que deux en France (l'autre salle se trouve à Strasbourg). Et, à ce titre, ouvrir des perspectives. Connaître les personnes, tordre les fantasmes autour des usagers. Ceux-là font preuve d'une grande lucidité. « Être là, ça va à l'encontre de ce que je veux être », dit l'un d'entre eux.
Évaluation à venir« L'indicateur important de l'impact d'une telle initiative se trouve dans le titre du film tiré d'une citation d'un usager : “Ici, je vais pas mourir”, souligne Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction, qui regroupe plus de deux cents associations dans tout le pays. Il faut être patient dans le domaine de réduction des risques. C'est un travail sur les représentations, qui participe à un changement de regard. »
Au total, entre l'ouverture, en octobre 2016, et septembre 2019, 184 023 consommations ont eu lieu à la SMCR. On y compte plus de deux cents passages quotidiens. En France, en 2019, 350 000 personnes étaient usagères problématiques de drogues. Depuis 2010, entre trois cents et quatre cents décès par an sont directement liés aux drogues*.
Une étude complète de l'Inserm sur l'efficacité et l'impact des salles de consommation à moindre risque devrait être rendue publique au cours du printemps. Le film Ici je vais pas mourir, lui, sortira en salle et tournera avec des associations dès que possible.
Thomas Laborde
* Sources Inserm, Institut Paris Région, Salle de consommation à moindre risque.