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Depuis le début de l’année, et pour une durée de deux ans, l’ARS de Normandie expérimente un suivi renforcé auprès des personnes souffrant d’une pathologie longue. Celui-ci est réalisé par des infirmiers libéraux contre une indemnisation. Au-delà de l’intérêt pour les patients, ce dispositif valorise des actes jusqu’ici non reconnus.
Difficultés pour se déplacer, troubles cognitifs, famille éloignée ou absente, illectronisme… les raisons pouvant conduire à une rupture dans le parcours de soins des personnes en ALD sont multiples et souvent insoupçonnées des professionnels de santé. À moins de côtoyer les patients au quotidien comme le font les infirmiers libéraux, souvent seuls interlocuteurs à faire le lien entre les deux, multipliant les tâches hors nomenclature.
« Je peux passer énormément de temps à planifier des rendez-vous, à gérer les stocks de médicaments, voire même à organiser la livraison de repas auprès de prestataires… autant d’actions, très chronophages, que jusqu’ici je faisais gratuitement », décrit Yohann Lepetit. Car depuis le début de l’année 2024, cet infirmier libéral installé à Agon Coutainville dans la Manche (50) est rémunéré pour ce travail de coordination supplémentaire. C’est là une exception normande initiée par l’ARS et portée par le DAC (dispositif d’appui à la coordination) qui, pendant deux ans, va expérimenter un suivi par des infirmiers relais auprès de personnes souffrant d’une pathologie longue durée. Le principe : leur proposer de faire le point sur leur santé, à travers la réalisation de 4 bilans annuels.
DES PATIENTS PRIS EN MAIN
Dans ces bilans, mis au point par le DAC, sont abordés de nombreux items, permettant par exemple de savoir si le patient a un médecin traitant, s’il honore ses rendez-vous médicaux, s’il lui faut d’autres suivis, s’il est à jour dans ses vaccinations. Le soignant s’enquiert également de sa santé mentale (Comment vit-il sa maladie ? A-t-il des conduites à risque ?) ou encore de sa situation personnelle et sociale (Vit-il seul ? Est-il autonome dans ses déplacements ?).
L’idée étant qu’au terme de ces bilans, l’infirmier ait une vision globale du parcours de la personne et, pour chaque difficulté repérée, qu’il puisse relayer vers les professionnels concernés. « Ces bilans, tous identiques, sont l’occasion de nous poser avec le patient et de réfléchir à son projet de soins. Ils sont aussi utiles pour se fixer de petits objectifs et vérifier que ceux-ci sont atteints la fois suivante », observe Yohann Lepetit.
Parmi la poignée de patients qu’il suit actuellement dans le cadre de cette expérimentation, se trouve une majorité de personnes âgées, seules ou perdues dans leur prise en charge, qui apprécient la disponibilité d’un personnel de santé pour leur faciliter l’accès aux soins ou leur rappeler leurs rendez-vous. « Parfois, je suis un peu le papa et la maman réunis, tant certains patients se reposent sur moi », illustre l’Idel normand. Un rôle qu’il endossait déjà mais qui, avec l’expérimentation, est désormais reconnu/formalisé.
LA RECONNAISSANCE EN PLUS
C’est là, estiment de consort l’infirmier et la coordinatrice du projet, Elodie Bigot, l’une des principales plus-values de ce dispositif. « Cela redonne un peu de sens au métier, explique cette dernière, qui est aussi infirmière libérale. Dans notre secteur, nous faisons beaucoup de choses qui ne sont pas reconnues et c’est vraiment problématique. Ce dispositif vient formaliser tout cela, tout en mettant en valeur tout le travail que nous réalisons. »
Depuis mars dernier, Élodie Bigot a pour mission de recruter des infirmiers volontaires pour tester ce suivi renforcé jusqu’à son terme en décembre 2025. Mais jusqu’à présent, seuls 5 (sur les 287 Idels que compte le territoire couvert par l’expérimentation) ont répondu positivement à l’appel. « Beaucoup sont intéressés sur le principe mais ne souhaitent pas s’y inscrire soit parce qu’ils sont déjà débordés soit parce qu’ils trouvent que cela ne vaut pas la peine pour si peu de temps », rapporte celle qui ne leur en tient toutefois pas rigueur.
De son côté, Yohann Lepetit ne regrette pas d’avoir pris part au projet. Il est indemnisé 100 € par patient, soit 24 € par bilan, et suit actuellement moins d’une dizaine de patients. « Très honnêtement je le fais surtout parce que, symboliquement, cela démontre que les autorités commencent à prendre la mesure de notre travail, avoue l’infirmier libéral normand. Ceci dit, je trouve le projet intéressant et en plus pas très compliqué à mettre en œuvre. Espérons que cela débouchera sur quelque chose de concret à l’avenir. »
Eléonore de Vaumas