Epidémie au off d'Avignon

La scène est dépouillée : un lit en fer et, en apparence du moins, de simples boîtes blanches, qui serviront tour à tour de tabourets, de tables, etc. Dans un bar, Bérenger (Pierre Chalaron) et Jean (Jean-Marc Robert) sont les témoins de l'épidémie de « rhinocérite » qui s'abat sur la ville. Un mal qui transforme sournoisement les hommes et les femmes en pachydermes... Cette pièce, écrite par Ionesco en 1959, aborde par le prisme de l'absurde les thèmes du conformisme, du totalitarisme et de la résistance. Des thèmes finalement pas si éloignés de Vol au-dessus d’un nid de coucou, qui nous avait tant séduit en 2009. Le public retrouve avec plaisir une partie de la distribution d'alors, avec un texte complexe parfaitement maîtrisé, même s'il n'est pas toujours servi avec la même énergie.
Cette année, la troupe a eu à s'adapter à la défection d'une des leurs (remplacée au pied levé par une infirmière) mais surtout au décès, il y a quelques semaines, d'un des acteurs de la pièce jouée en alternance, Le libertin. « C'est la vie », commente sobrement Pascal Joumier, le metteur en scène, alors qu'un silence chargé d'émotion se fait chez les acteurs à cette évocation.

« Dynamique »
La salle est pleine. Visiblement, le bouche-à-oreille fonctionne, assurant un public régulier à cette compagnie mêlant soignants et soignés « et ouverte à tous les autres ». Une gageure dans cette édition du off, qui propose pas moins de 1 200 spectacles. L'Autre Scène est l'un des sept ateliers de création que compte le centre hospitalier de Montfavet, situé à dix kilomètres. Pendant huit mois, trois infirmiers ETP et une aide-soignante animent l'atelier du jeudi, placé sous la responsabilité médicale du Dr René Pandelon.« On décide de la distribution en septembre et les participants s'engagent pour tenir leur rôle pour deux saisons du festival. C'est dans la dynamique de progression de faire monter sur scène, avec les anciens, des petits nouveaux », rappelle Nicolas Barrière, infirmier, en désignant Corinne et Stéphanie dont c'est le baptême du feu.
Les accessoires rangés et les visages démaquillés, la troupe débriefe avant de sortir affronter le soleil. « Vous avez entendu les rires dans la salle ? C'est la preuve que vous tenez de mieux en mieux le rythme dans vos échanges. Continuez de viser l'essentiel », les encourage Pascal Joumier. La cadence de cette pièce d'1 h 50, jouée trois fois par semaine, a de quoi épuiser mais Jean-Marc veut quand même profiter de la relache, lundi, « pour aller voir d'autres pièces du festival ». Pierre Helly, cadre de santé qui tient cette année la caisse du spectacle, s'enthousiasme : « C'est un vrai bonheur de voir cette troupe prendre son envol. » Alors « simple » infirmier en 1989, c'est lui qui a créé la troupe en 1989 et officié en tant que metteur en scène, avant de la confier à Pascal Joumier, un professionnel extérieur au milieu médical. Malgré tout, il compte bien renouer lui aussi avec les joies de la mise en scène, préparant une création sur une illustre pensionnaire de Montfavet, Camille Claudel*, les 30 et 31 mai 2013. Hospitalière dans tous les sens du terme, « cette pièce-là sera jouée entre les murs de l'hôpital, mais ouverte à tous ». En attendant, c'est en ville que L'Autre Scène prendra ses quartiers d'été jusqu'à la fin du festival.

Texte et photo : Candice Moors

*Rhinocéros, d'Eugène Ionesco, à la Fabrik'Théâtre à 14 h 15, jusqu'au 28 juillet, les mardis, jeudis et samedis (date supplémentaire le 22 juillet). En alternance avec Le libertin, d'Eric-Emmanuel Schmitt, jouée les mercredis, vendredis et dimanches à la même heure. Réservations au 04 90 86 47 81.

**Le sculpteur Camille Claudel est entrée à l'hôpital psychiatrique de Montfavet en 1914 et y est morte en 1943.