Si des centaines de jeunes Espagnols indignados campent depuis plusieurs semaines dans le centre de Madrid pour dénoncer un taux de chômage insupportable et des politiciens sourds à leurs revendications, les jeunes actifs se plaignent de leurs conditions de travail. En cause ? La trop grande précarité.
Miriam et Violeta discutent tranquillement sous l’une des nombreuses tentes bleues qui habillent encore, trois semaines après le début du mouvement, la Puerta del Sol, au coeur de Madrid. Un des rares moments de répit que connaissent ces deux infirmières bénévoles du campement. Quelques instants plus tard, une jeune femme arrive, demandant leur aide, un bébé qui pleure dans les bras. Il s’est légèrement ouvert la lèvre.
Depuis quelques semaines, la place centrale de Madrid a en effet pris des airs de mai 1968, les pavés et les barricades en moins. Une véritable ville dans la ville s’y est installée : sanitaires, cuisine, salle de massage, bibliothèque et même crèche. Tous les services sont à disposition des Espagnols indignados. L’infirmerie, située dans l'une des allées centrales, connaît une affluence d’ « une centaine de personnes par jour », explique Tito, médecin de 32 ans, qui fait partie des volontaires présents sous la tente médicalisée.
Pesante précarité
Entre un lit d’hôpital, des médicaments gracieusement offerts par la population solidaire et de la crème solaire mise à disposition des campeurs, Miriam raconte qu’elle a quand même la chance de ne pas être au chômage. Mais « mes conditions de travail dans le système public sont vraiment dures », témoigne-t-elle. « J’enchaîne des contrats courts d’une semaine, sans savoir le vendredi soir s’il sera reconduit le lundi matin. »
Une précarité qui l’empêche de prendre son indépendance : à 22 ans, comme beaucoup de ses compatriotes du même âge, voire sensiblement plus vieux, cette jeune active habite toujours chez ses parents. Et déplore une situation de plus en plus mauvaise. Son analyse ? « Un système de santé complètement gratuit comme en Espagne coûte cher. On n’a rien sans rien. On aurait besoin de plus d’argent, mais les budgets ont été réduits, le gouvernement a choisi d’employer moins de personnel, on est à court. Il faudrait 2000 emplois supplémentaires pour normaliser la situation, rien que pour Madrid ! », s’alarme l’infirmière, dans le petit local.
« Les politiciens ne nous représentent pas du tout »
Violeta fait le même constat, visiblement en colère. « Il faut du changement, lâche la jeune femme, employée seulement à mi-temps. Les politiciens ne nous représentent pas du tout, c’est toujours la même chose. Si je suis ici, c’est d’abord en tant que citoyenne », renchérit-elle. Travailler davantage, bien sûr, elle aimerait, mais elle a peur de se retrouver au chômage si elle réclame plus d’heures à son patron. « J’adore mon travail, je ne veux pas abandonner. Bien sûr, si j’ai la chance d’avoir un meilleur contrat, je n’hésiterai pas à la saisir ! », affirme l'infirmière madrilène.
Pour le moment, cependant, la priorité des deux soignantes est d’ « aider les gens, de participer au mouvement ». Quitte à faire quelques sacrifices. En effet, les deux jeunes femmes ne sont pas allées travailler aujourd’hui (1). Mais dès demain, il leur faudra repousser la porte de l’hôpital, avec certainement le sentiment d’avoir apporté leur pierre à l’édifice. Car au sein du camp, différentes commissions bûchent sur des propositions concrètes à faire aux politiciens. Le groupe de travail "Santé", dont font partie les bénévoles de l'infirmerie, espère ainsi aboutir à un vrai manifeste.
Texte: Delphine Bauer
Photo : Benjamin Girette/IP3
1 – Ce reportage a été réalisé le vendredi 3 juin.