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Le Conseil national professionnel infirmier (CNPI) a récemment affirmé sa volonté de voir instaurer une 4e année à la formation initiale des étudiants en soins infirmiers (ESI). Une proposition rejetée par le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) et par la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi).
Plusieurs raisons conduisent le CNPI à formuler cette préconisation d’ajouter une 4e année à la formation initiale des ESI à commencer par la nécessité de respecter la directive européenne sur la formation en soins infirmiers, qui impose 4600 heures de formation, alors qu’en France, elle est de 4200 heures. Pour le CNPI, cette année supplémentaire permettrait de renforcer le processus de professionnalisation et l’acquisition des compétences nécessaires pour faire face aux situations de santé individuelles et populationnelles, et de compenser les manques dans les domaines de la psychiatrie, la santé mentale, la santé des enfants et les soins critiques.
S’INSPIRER DES DOCTEURS JUNIORS
« Nous menons des travaux depuis 2020 concernant l’évolution de la profession, rappelle Evelyne Malaquin-Pavan, présidente du CNPI. Par rapport à la “durée de vie” d’une infirmière et l’impact de la formation sur les étudiants, nous pensons que cette 4e année leur serait favorable. » Et d’expliquer : « nous préconisons une année complémentaire de professionnalisation sur le modèle des docteurs juniors1 afin de consolider l’apprentissage académique et pratique en milieux cliniques, leviers d’employabilité et de fidélisation. » Cette année « junior » s’inscrit également comme l’une des actions concourant à la santé personnelle de l’infirmière débutante, car pour le CNPI, il est important de la promouvoir dès la formation initiale, tel que le prévoit l’axe 4 de la certification périodique des professionnels de santé. Une façon aussi de permettre aux infirmières de se sentir compétentes et en sécurité pour analyser et décider des activités de soins dont elles ont la responsabilité. Le CNPI estime par ailleurs que ce passage de 3 à 4 ans ne remet pas pour autant en cause l’universitarisation de la profession, qu’il soutient par ailleurs.
CONSTRUIRE DES MODÈLES INNOVANTS
Sollicité par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour composer le groupe technique « Référentiel Activités et compétences » (GT RAC) dans le cadre de la réforme en cours de la profession, le CNPI s’étonne néanmoins de ne pas faire partie du groupe de travail faitier « Ingénierie formation », « comme aucun autre représentant des professionnels de terrains cliniques », regrette Evelyne Malaquin-Pavan, avant d’expliquer : « Nous sommes uniquement associés au comité de suivi et nous ne pouvons que proposer une contribution dans l’un des sous-groupes thématiques. » D’où l’organisation d’un colloque mi-octobre à l’Assemblée nationale pour partager, avec des personnalités infirmières de Belgique, Finlande, Espagne, Luxembourg, Portugal et d’organisations internationales, des modalités structurant le parcours professionnalisant des infirmières de leurs pays, et ainsi ouvrir des perspectives pour la réforme de la formation initiale française. « Rien n’empêche d’organiser la licence en 4 ans, ce qui permettrait aussi aux étudiants de mener d’autres activités en parallèle de leurs études, éventuellement de les financer, soutient-elle. Nous ne remettons pas en cause le modèle Licence-Master-Doctorat (LMD) mais nous souhaitons être innovants, inventifs pour créer de nouvelles maquettes et agir pour que les étudiants ne quittent pas le métier pendant la formation ou les premières années post-diplomation. Nous devons trouver ensemble des solutions pragmatiques pour les soutenir. »
UNE STRUCTURATION DES ÉTUDES À REPENSER
Pour le Cefiec, hors de question de soutenir cette proposition. « Les représentants de l’Enseignement supérieur sont très clairs et nous ont expliqués que le niveau licence était en 3 ans et nous ne pouvons pas y déroger », rapporte Michèle Appelshaeuser, la présidente du Cefiec. Les textes réglementaires en France sont ainsi rédigés et pour nous, il est inconcevable de sortir du modèle LMD. » Et de poursuivre : « les étudiants trouvent la formation déjà suffisamment dense. Nous ne pouvons pas leur ajouter une 4e année. Nous travaillons actuellement à sa refondation et il sera tout à fait possible de respecter l’obligation des 4600 heures tout en introduisant des temps de travail personnel. »
Un constat partagé par la Fnesi. « Il est possible de respecter les exigences de la directive européenne en réorganisant les 3 années, notamment en misant davantage sur la simulation plutôt que sur des infirmiers juniors, indique Ilona Denis, la nouvelle présidente. La durée de la formation n’est pas à remettre en question, mais sa structuration l’est, pour une meilleure appropriation des connaissances. »
Une 4e année impliquerait également une année blanche en termes de recrutement pour les employeurs. « Je ne pense pas que nous puissions actuellement nous permettre ce luxe, car cela conduirait à ne pas répondre aux enjeux d’employabilité et aux besoins de santé de la population », estime Michèle Appelshaeuser. D’après le Cefiec, cette 4e année pour un niveau licence pourrait également entrainer une fuite des étudiants vers d’autres Masters, alors accessibles après la 3e année de formation, donc avant l’obtention du diplôme d’Etat. « Devons-nous prendre le risque de leur donner cette opportunité ? Ce sont des questions que nous devons nous poser », soutient-elle.
Les groupes de travail sur la réingénierie de la formation ont repris. L’option retenue devrait être connue d’ici les prochains mois.
Laure Martin
1 Le statut de docteur junior, qui a remplacé celui d'interne senior en 2020, permet aux étudiants de 3e cycle en médecine, en odontologie inscrits en chirurgie orale ou en pharmacie inscrits en biologie médicale d'exercer au cours de leur formation.