Le mouvement de grève contre la vie chère qui dure depuis bientôt trois semaines en Guadeloupe affecte grandement le travail des infirmiers libéraux et ne semble pas prêt de s’apaiser au lendemain du départ anticipé du secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer Yves Jégo, au beau milieu des négociations pour trouver une issue au conflit.
« Ceux qui souhaitent que le mouvement cesse se sont sentis abandonnés et ceux qui militent dans le mouvement l’ont vécu comme un affront », a témoigné lundi Pierrette Meury, porte-parole de la section guadeloupéenne du Syndicat national des infirmiers et infirmières libérales (Sniil). « Les gens ont très mal pris » l’annonce du retour précipité d’Yves Jégo en métropole pour, dit-il, « négocier avec le Premier ministre François Fillon », a ajouté Pierrette Meury.
Durcissement de la grève mardi
A tel point qu’à Pointe-à-Pitre, le collectif contre l’exploitation outrancière (LKP) à l’origine du mouvement, a appelé à un durcissement de la grève pour mardi avec « fermeture de tous les commerces, de toutes les administrations, des stations-services et blocage de tous les axes routiers, y compris secondaires », a énuméré Mme Meury.
Entre la pénurie de carburant et les barrages routiers, il est très difficile de circuler sur l’archipel. Si le préfet a fini par réquisitionner des stations-services, cela n’a pas empêché des files d’attente de plusieurs heures de se former car les professions définies comme prioritaires sont nombreuses.
Solidarité
« Certains infirmiers s’arrêtent de tourner pendant un jour, on économise au maximum le carburant car on ne sait pas de quoi demain sera fait », témoigne Pierrette Meury. « On ne fait plus les tournées en fonction des horaires de soins, mais sur des critères géographiques. »
La solidarité s’organise entre infirmiers libéraux pour assurer au mieux les soins, on s’échange les patients, on réorganise les tournées. Parfois aussi le système D amène les infirmières à s’exposer encore plus qu’elles ne le font déjà dans l’exercice normal de leur métier, engageant dangereusement leur responsabilité.
« Si j’ai un patient très éloigné qui m’oblige à faire 10 ou 12 km pour une seule personne, je ne passe qu’une fois par jour au lieu de deux, je prépare les médicaments et la personne m’appelle au moindre doute », explique Pierrette Meury.
« Il m’est arrivé d’enlever des fils sans prescription sur un patient qui s’était fait opérer à Basse-Terre, à l’autre bout de l’île. Le chirurgien lui avait dit de revenir une semaine après, mais à cause des blocages, du manque d’essence, c’était impossible », admet-elle encore, déplorant des « situations extrêmes », hautement insécurisantes pour les infirmières, d’autant que les médecins prescripteurs sont souvent injoignables étant donné que l’hôpital est en grève, précise-t-elle.
Lourde responsabilité
Pour essayer de se dégager de cette trop lourde responsabilité, le Sniil de Guadeloupe a adressé un courrier au ministère de la Santé et au préfet pour tenter de dédouaner les soignants libéraux qui ne pourraient pas se rendre au domicile d’un patient faute de carburant. « Cette précaution sera-t-elle suffisante s’il arrive quelque chose de grave ? Je n’en suis pas convaincue », lâche Pierrette Meury.
Bien que la situation soit moins tendue en Martinique, les conséquences d’un mouvement de grève contre la vie chère commencent aussi à s’y faire sentir, cinq jours après le début de la mobilisation. « Nous avons des problèmes d’essence », témoigne Maria Simon, secrétaire départementale du Sniil et secrétaire du conseil régional de l’ordre infirmier de Martinique-Guadeloupe-Guyane. « Des stations-services ont été réquisitionnées, mais comme les personnels prioritaires ne sont pas bien définis, c’est la pagaille et il faut faire venir les forces de l’ordre. »
Ecoles fermées
Comme en Guadeloupe, l’heure est à la limitation des déplacements. La grève a des conséquences aussi sur la vie personnelle des infirmiers. « Toutes les écoles sont fermées », indique Maria Simon. Du coup, elle et son mari, également infirmier libéral, se partagent le travail : "L’un dort au cabinet pour assurer les soins, et l’autre reste à la maison avec les enfants, à 30 km de là. »
Maria Simon est aussi peu optimiste pour la suite des événements que sa collègue de Guadeloupe. « Ca va plutôt en s’aggravant, tous les supermarchés sont fermés, les gens font des réserves, la psychose s’installe », constate-t-elle.
Mais ni l’une ni l’autre ne condamnent la contestation sociale dans son principe car la vie chère n’est pas un mythe dans les Antilles françaises. « En tant qu’administratrice nationale du Sniil, je me rends à Paris une fois par mois, et les deux yaourts que vous achetez 1,20 euros dans n’importe quel Auchan de métropole, vous les payez 5,80 euros ici en Martinique », explique-t-elle.
« On se retrouve à faire les courses de nos patients »
Pour Pierrette Meury non plus, il ne s’agit « pas du tout d’une mise en cause de la mobilisation », tant « on voit les difficultés sociales sur le terrain ».
« Certains de nos patients isolés n’ont que 500 euros par mois. On ne vit pas avec 500 euros ! », s’indigne-t-elle. « On se retrouve à faire les courses de nos patients. J’ai une patiente allergique au lait. J’ai dû faire cinq épiceries la semaine dernière pour lui trouver du lait de soja alors que je manque d’essence », dénonce-t-elle.
Lundi, le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer Yves Jégo a indiqué à l’issue d’un entretien avec le Premier ministre François Fillon qu’une réunion de ministres aurait lieu ce mardi sur la crise en Guadeloupe.
C. A.