Les services de psychiatrie des hôpitaux Tenon et Saint-Antoine (AP-HP) viennent de mettre en place un numéro vert et une cellule de prise en charge des victimes de harcèlement sexuel. Une première en France.
Le numéro vert* de la cellule de prise en charge des victimes de harcèlement sexuel des hôpitaux Tenon et Saint-Antoine (AP-HP) n'a qu'un mois d’existence, mais déjà, une trentaine de femmes l’ont composé, et les pages du cahier de liaison tenu par Josiane Chiva, secrétaire médicale chargée de prendre les appels, sont noires du récit de leurs souffrances. « Cécile**, professeur ayant subi menaces et allusions sexuelles de la part d’un collègue ; Denise, harcelée par son voisin depuis qu’elle est veuve ; Anne, infirmière de nuit, harcelée sexuellement par un collègue ; Marie, cadre dans une grande entreprise, ayant subi, comme certaines collègues, des attouchements de la part de son patron, et qui pleure de rage une fois chez elle face au silence, et à son impossibilité de se rebeller ; Camille, ayant perdu son travail suite à un harcèlement sexuel, et qui a fait trois tentatives de suicide… »
« Une pathologie grave »
« Perte de l’estime de soi, troubles du sommeil, troubles de la libido, anxiété, dépression, idées voire gestes suicidaires… Les victimes de harcèlement sexuel – des femmes, dans 90 % des cas – présentent des états de stress s’apparentant à l’état de stress post-traumatique. Agression souvent répétée, le harcèlement sexuel est une pathologie grave, qui peut détruire. D’où l’importance d’une prise en charge soignante », explique le Pr Charles Peretti, chef des services de psychiatrie de Saint-Antoine et Tenon, qui a mis sur pied cette toute nouvelle structure.
« La création de cette cellule, une première en France, est née du constat d’un manque flagrant de prise en charge », précise Lydia Guirous, présidente de l’association Future, au féminin, à l’origine du projet. « A force de travailler sur ces questions, nous nous sommes en effet rendus compte que, s’il existait plusieurs associations offrant un véritable accompagnement juridique, voire social, il manquait une réponse en termes d’accompagnement psychologique. » Concrètement, la cellule de prise en charge des victimes de harcèlement sexuel de Tenon et Saint-Antoine est donc associée à un numéro vert. « Un élément essentiel, souligne Lydia Guirous. C’est gratuit, et donc accessible à toutes. Tout comme l’est, d’ailleurs, la consultation associée, tarifée en secteur 1. » Après ce premier contact téléphonique, les victimes sont rappelées dans les 24-48 heures par l’un des trente-cinq psychiatres, psychologues ou infirmières qui participent au fonctionnement de la cellule. « Un premier rendez-vous leur est donné, qui permet d’établir un diagnostic, à la suite duquel une proposition de suivi thérapeutique est décidée avec la personne, en fonction des besoins de chacune », explique Charles Peretti.
Tabou
Au-delà de l’accompagnement soignant offert aux victimes, cette toute jeune cellule se veut aussi une aide pour les nombreuses femmes qui n'ont pas osé porter plainte. « La démarche n’est jamais aisée, car le harcèlement sexuel reste tabou dans nos sociétés, souligne Charles Peretti. Et parce que le harcèlement sexuel est synonyme de vulnérabilité - chute de l’estime de soi, honte, culpabilité… A nous de lever ces freins psychologiques pour que les victimes parviennent à enclencher la procédure judiciaire, épaulées, s’il le faut, par l’assistante sociale du service et l’association Future, au féminin », précise Charles Peretti.
Première en France, la structure dédiée aux victimes de harcèlement sexuel de Saint-Antoine et Tenon fait ses premiers pas. Mais, déjà, Lydia Guirous aimerait que le modèle essaime. Dans une lettre à la ministre de la Santé, elle a demandé à ce qu’un volet relatif à la prise en charge psychologique des victimes soit intégré à la future loi relative au harcèlement sexuel. Le texte, adopté par le Sénat le 12 juillet, sera examiné mardi 24 juillet à l'Assemblée nationale, deux mois après l’abrogation du texte précédent par le Conseil constitutionnel. Lydia Guirous sera-t-elle entendue ? Pas sûr. « Mais, la demande de prise en charge est là, et pas seulement à Paris. Les hôpitaux peuvent s’en emparer. Ce qu’il faudrait, c’est qu’une cellule de ce type existe dans chaque région de France », assure-t-elle.
Emmanuelle Debelleix
*Numéro vert : 0800 00 46 41. Du lundi au vendredi, de 9 à 12 heures et de 14 à 16 heures.
**Tous les prénoms ont été modifiés.