L’Oni et Résilience ont rendez-vous au tribunal le 20 mars prochain. Gilles Devers, avocat du syndicat, et spécialité du droit de la santé, répond à nos questions.
L’Infirmière magazine : Où en est le bras de fer juridique entre l’Ordre infirmier et Résilience ?
Gilles Devers : Le seul procès en cours est celui concernant l’assignation, par l’Ordre national infirmier, de Résilience et de son secrétaire général devant le tribunal de grande instance de Paris pour injures publiques. La première audience aura lieu le 20 mars… mais le jugement ne sera pas rendu de suite. A mon avis, il ne faut pas l’attendre avant septembre, au plus tôt. L’Ordre veut obliger un syndicat à se taire : nous lui expliquerons ce qu’est la liberté d’expression.
Pendant ce temps, Résilience poursuit ses propres actions en justice : ses actions en référé visant à faire constater l’illégalité des conseils départementaux de l’ordre (CDOI). L’argumentaire juridique de Résilience est le suivant : les mandats des élus des CDOI n’ont pas été renouvelés comme ils auraient dû l’être… les CDOI sont donc illégitimes. On pourrait leur répliquer qu’en novembre dernier, le gouvernement a prolongé, par décret, le mandat des élus au conseil national de l’ordre infirmier (CNOI). Mais il faut savoir que l’ordre infirmier n’existe pas en soi – que seules existent, sur le plan légal, ses instances : CNOI, CROI (conseils régionaux de l’ordre infirmier), et CDOI… Chacun étant doté de sa propre personnalité juridique, légalement, le CNOI ne devrait pas pouvoir reprendre les compétences d’un CDOI.
L’I.M. : Contestant la légalité des CDOI, Résilience appelle les infirmières à ne pas s’inscrire. Mais certaines craignent de se retrouver hors la loi… Que pouvez-vous leur dire ?
G.D. : Il faut distinguer analyse juridique et analyse pratique ! Au plan juridique, c’est vrai : en n’étant pas inscrite à l’ordre, une infirmière est en exercice illégal de la profession – hors la loi, et donc hors assurance. Mais, l’ordre étant rejeté par l’immense majorité de la profession… l’analyse juridique stricte a peu de sens pratique. Voyez le nombre d’hôpitaux où pas une seule infirmière n’est inscrite au tableau de l’ordre ! Même s’ils jouent l’intimidation, les CDOI n’oseront pas aller plus loin – ils auraient toute la profession contre eux. Il existe d’ailleurs un “deal” entre ministère de la Santé et ministère de la Justice pour ne pas poursuivre les infirmières refusant de s’inscrire à l’ordre. Quant aux libérales… les CPAM leur envoient de temps à autre une lettre de relance, mais elles non plus ne vont pas plus loin.
L’I.M. : Que faudrait-il faire selon vous ?
G.D. : Le problème est que le système est devenu complètement fou. Le gouvernement et l’ordre laissent quelque 400 000 professionnelles hors la loi : c’est irresponsable !
D’autant que l’on n’est pas à l’abri qu’un jour, une famille dont un membre a été victime d’une erreur professionnelle, poursuive l’infirmière en cause pour exercice illégal de la profession. Il faut stopper la machine !
L’I.M. : A titre personnel, quel regard portez-vous sur ce rejet de l’ordre par la majorité des professionnels infirmiers ?
G.D. : Selon moi, la grande erreur commise par tous ceux qui sont en charge de ce dossier, a été d’ignorer ce que nous connaissons comme « la sociologie juridique. » A savoir qu’il ne suffit pas qu’une loi existe pour qu’elle soit appliquée, pour que les gens l’acceptent. Les dirigeants de l’ordre clament que la loi instaurant l’ordre infirmier existe, et que les infirmiers doivent s’y conformer. Mais ça ne suffit pas ! Tenez, d’ailleurs, à titre de comparaison, l’article 212 du Code civil stipule que « les époux se doivent mutuellement respect et fidélité »… or l’infidélité dans les couples existe !
Lorsqu’il s’agit de thématiques touchant à la vie privée, lorsqu’il s’agit, aussi, de réglementer une profession… les choses sont souvent complexes. Je ne suis d’ailleurs pas anti ordre en soi – je suis membre de l’ordre des avocats, je conseille aussi l’ordre des pharmaciens… qui sont de très bonnes institutions. Et, à ce titre, je sais combien faire vivre un ordre professionnel nécessite du doigté, de la concertation. La profession infirmière a, certainement, besoin de se structurer. Les dirigeants de l’ordre infirmier ont choisi la manière forte, alors qu’il aurait fallu mener ce projet de façon progressive, concertée, en montrant à chaque étape ce qu’apporte la fédération des efforts.
Propos recueillis par Emmanuelle Debelleix