Des vies pourraient être sauvées en France si les personnes souffrant de douleurs thoraciques avaient le réflexe d’appeler le Samu et personne d’autre. Les professionnels de santé, eux, doivent davantage intégrer la nécessité de raccourcir au maximum le circuit d’intervention.
A peine la moitié des personnes victimes d’un infarctus du myocarde en France ont le réflexe d’appeler le 15, numéro de téléphone de référence pour les urgences médicales. C’est l’un des rudes constats d’une étude menée au mois de novembre 2010 dans cinq départements représentatifs du territoire national (voir encadré ci-dessous). Un quart environ de ces patients appellent leur médecin traitant, leur cardiologue ou les pompiers et un dernier quart n’appellent personne, entreprenant le plus souvent de se rendre aux urgences par leurs propres moyens. Erreur fatale !
Lancée par l’observatoire français « La course pour la vie » dans le cadre du projet européen « Stent for Life », cette étude a pour objectif de dresser un état des lieux de la prise en charge de l’infarctus en France pour ensuite améliorer les pratiques et tendre vers l’excellence des meilleurs élèves européens en la matière, que sont le Danemark, la Hollande, la République tchèque et la Pologne comme l’a rappelé le Dr Jean Fajadet, co-directeur de l’unité de cardiologie interventionnelle de la clinique Pasteur de Toulouse et co-directeur du projet européen "Stent for Life" (1).
Reperfusion
D’importantes disparités existent en effet d’un pays à l’autre dans la prise en charge des syndromes coronariens aigus et des infarctus : certains pays ont un taux de reperfusion supérieur à 80% tandis que dans d’autres, moins d’un patient sur deux est reperfusé. « La quantité de reperfusions n’a rien à voir avec le PIB du pays », observe au passage le Dr Fajadet. Dans les pays où ce taux est parmi les meilleurs, augmentant d’autant les chances de survie des patients, plusieurs facteurs concourent aux bons résultats, note le cardiologue : une implication de tous les acteurs – professionnels de santé, gouvernements et patients-, un maillage de plateaux de cardiologie interventionnelle ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, mais surtout des protocoles de transport qui court-circuitent l’hôpital le plus proche en faveur d’un établissement doté d’un plateau de cardiologie interventionnelle, ce qui fait gagner un temps précieux. Ces pays ont par ailleurs « évalué ce qu’ils faisaient grâce à un recueil des données et mené des campagnes d’éducation auprès des cardiologues, des services d’urgence et des patients pour leur faire comprendre l’importance de réduire le délai entre l’apparition de la douleur dans la poitrine et la recanalisation ».
Question de minutes
L’objectif de "Stent for Life" est donc d’harmoniser les pratiques par le haut en hissant dix pays dont la France (2) à des taux de plus de 600 angioplasties primaires –traitement de choix de l’infarctus du myocarde (IDM)- par million d’habitants et par an (3). Comment ? En informant grand public et professionnels de santé pour obtenir une utilisation optimale du dispositif de prise en charge, que les experts jugent par ailleurs excellent en France. C’est là tout l’objet du projet « La course pour la vie ». Faire en sorte que le modèle suivant devienne la règle en cas d’IDM : « Le patient descend de l’ambulance du Smur pour arriver directement sur la table d’angioplastie », expose le Dr Patrick Goldstein, urgentiste au CHU de Lille et chef du Samu régional.
En effet, dans ce scénario, l’étude de novembre dernier a montré que le délai médian entre la première intervention médicale (définie comme le premier électrocardiogramme) et l’angioplastie primaire était de 97 minutes contre 227 minutes en cas de passage par un centre périphérique, alors que les recommandations européennes suggèrent de ne pas dépasser 120 minutes. Conclusion : « Il ne faut pas passer par un centre périphérique, car les délais médians en sont plus que doublés », assène le Dr Goldstein. Dans un processus qui demeure une course contre la montre, la mortalité est logiquement d’autant plus faible qu’il y a moins d’intervenants avant l’hospitalisation, ajoute-t-il, d’où l’importance de composer le 15 directement.
Campagne d'information
Pour sensibiliser public et professionnels de santé à cette exigence, la Société française de cardiologie, la Société française de médecine d’urgence et le Samu lancent dans les cinq départements pilotes du projet français une campagne d’information composée d’affiches, de brochures, d’une newsletter pour les médecins, d’une application iPhone et de communications dans la presse régionale.
En novembre prochain, un an après le premier état des lieux, une nouvelle étude sur 48h déterminera l’impact de cette campagne. S’il est concluant, « on demandera aux autorités nationales d’étendre le dispositif d’information » au pays entier, a déclaré le Pr Claude Le Feuvre, PU-PH à l’institut de cardiologie du CHU de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et premier vice-président de la Fédération française de cardiologie, dans l’espoir d’optimiser la prise en charge d’un mal qui tue quelque 13.000 personnes en France chaque année.
Texte: Cécile Almendros
Photo: © ArTo - Fotolia.com
1 – Tous les propos cités et rapportés dans cet article ont été recueillis lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Paris le 22 mars.
2 – Les neuf autres sont la Bulgarie, la Grèce, la Serbie, l’Espagne, la Turquie, l’Egypte, l’Italie, la Roumanie et le Portugal.
3 – La France se situe actuellement à moins de 300 angioplasties primaires par million d’habitants et par an.
La course pour la vie
Pendant 48 heures, en novembre 2010, tous les patients pris en charge pour infarctus du myocarde dans les départements de Haute-Garonne (39 patients), Haute-Savoie (37), Côte d’Or (29), Essonne (38) et Nord (57) ont été systématiquement recensés et leur parcours minutieusement analysé. Sur ces 200 patients, 72,5% étaient des hommes et 27,5% des femmes. Ils étaient âgés en moyenne de 63,3 ans et plus d’un sur deux était retraité.
Au chapitre des facteurs de risques, 43,5% souffraient d’hypertension artérielle, 21,4% de diabète, 44,9% fumaient, et 20,8% avaient un indice de masse corporelle supérieur à 30 (marqueur de surcharge pondérale, ndlr).
Dans moins d’un cas sur cinq (19,7%), la coronaropathie était connue avant l’admission. Dans 93,5% des cas, une douleur thoracique était décrite. Trois sur quatre avaient passé un appel téléphonique, mais seulement 49% avaient appelé directement le 15.
Près des deux tiers (64%) ont bénéficié d’une angioplastie, 22% d’une fibrinolyse, mais14% n’ont bénéficié d’aucune technique de reperfusion. Parmi ces malchanceux, des patients en moyenne plus âgés, 50% de femmes et près d’un quart d’actifs.
Ces résultats ont été dévoilés par le Dr Patrick Goldstein lors d’une conférence de presse le 22 mars à Paris.