Infirmières anesthésistes: les négociations s'arrêtent en pleine voie

18/05/2010

Infirmières anesthésistes: les négociations s'arrêtent en pleine voie

Pendant cinq heures, ce mardi, environ 2000 Iade ont bloqué la gare Montparnasse, à Paris. Un changement de parcours décidé par les manifestants pour protester contre le refus du ministère de la Santé de les recevoir. La grève a été suivie massivement.

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«C'est dingue de voir jusqu'où il faut aller pour pouvoir se faire entendre! Tout ça pour simplement essayer d'obtenir de vraies négociations», s'exclame, dépitée, Stéphanie, infirmière anesthésiste à l'Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris). Il est 16h40 et la gendarmerie mobile s'apprête à charger pour déloger les Iade restés sur les rails après la réponse donnée par l'équipe du ministère dans l'après-midi: pas de nouveaux engagements, si ce n'est la promesse orale de deux nouvelles réunions les 3 et 15 juin (lire encadré ci-dessous). Alors que les négociateurs (CGT, Snia, Sud et membres des collectifs Iade non-syndiqués) appelaient à quitter les lieux pour éviter des heurts, une grande partie des soignants ont décidé de poursuivre le bras de fer en pleine voie.

Quelques minutes après, les forces de l'ordre commencent à rompre le sit-in entrepris par une grande partie des manifestants. L'évacuation durera plus d'une heure. Parfois dans les cris et la douleur, comme pour cette infirmière prise d'un malaise après avoir été tirée par le bras, qui a repris connaissance un moment plus tard après l'intervention d'un collègue.

«J'ai vu une fille se faire tirer les cheveux, des gars se sont fait traîner sur les rails»
, témoigne Olfa, Iade du CHRU de Lille. «Ils m'ont pincé comme des chiens», s'agace un autre soignant. Aux charges de la gendarmerie répliquent des poussées des infirmiers, qui culmineront lors de la sortie des derniers manifestants par une bousculade sous les jets d'oeufs et de Betadine.

Certaines interventions seront nettement plus courtoises. «Je vous raccompagne», annonce en souriant un gendarme qui guide de son bouclier une soignante vers la sortie des voies. Une autre infirmière, portée manu militari, demande au fonctionnaire anti-émeute de faire attention aux rails sur lesquels il risque de trébucher...

Montée en puissance

Il n'y aura pas de gaz lacrymogènes lancés sur les manifestants, comme voici quelques semaines à Montpellier, mais cette quatrième journée d'action marque un nouveau gain de tension dans le mouvement amorcé le 11 mars dernier. Elle s'est traduite par une montée en puissance: 2500 manifestants à Paris sur 7700 Iade (1200 selon la préfecture de police), et des taux de grèves supérieurs à 90% dans de très nombreux services.

Les causes du ras-le-bol mis en avant par les infirmières anesthésistes sont multiples. D'abord, la crainte de perdre un jour l'exclusivité de leurs compétences, par exemple via des diplômes universitaires accordés aux IDE ou Ibode (de type «DU intubations», imagine avec inquiétude une manifestante) ou la validation des acquis de l'expérience.

Ensuite, les incertitudes quant à la reconnaissance d'un niveau master (bac +5). Roselyne Bachelot, dans une lettre du 4 mai adressée à Marie-Ange Saget, la présidente du Snia, estimait: «Je ne doute pas que nous y parviendrons, et ce avant la fin de l’année 2010.» Reste à en préciser clairement les contours.

Troisième enjeu majeur: les revalorisations salariales prévues dans le protocole du 2 février dernier (1), peu à même, selon les manifestants, de donner envie aux infirmières de choisir la spécialisation d'anesthésiste. En 1993, «une bonification indiciaire de 41 points marquait la différence avec le métier d'infirmier de soins généraux, a répondu le 6 mai Marie-Ange Saget à Roselyne Bachelot. En 2002, [cette bonification] n'a pas été intégrée au salaire comme promis à tous les niveaux [en particulier pour les jeunes entrants dans la spécialité]. La nouvelle grille que vous proposez ne propose au maximum qu'un gain de 38 points d'indice par rapport à la carrière d'IDE.» Ces derniers jours, le cabinet de Roselyne Bachelot a lancé l'idée d'une revalorisation via la prime de fonction et de résultats. Mais rien n'est encore acté.

Vient enfin la question de la pénibilité: le protocole propose aux Iade comme aux autres infirmières une revalorisation plus forte en échange du renoncement au classement en catégorie active. Lequel ouvre droit à la retraite à 55 ans et à une bonification d'un an d'ancienneté tous les dix ans (réforme Fillon de 2003). Les syndicats refusent cet échange et demandent l'ouverture d'une discussion sur l'aménagement des fins de carrière.

Déceptions

Depuis la manifestation du 4 mai, les relations entre les représentants des Iade et le cabinet de Roselyne Bachelot ont témoigné d'un contraste entre engagements oraux encourageants et réponses écrites décevantes pour les syndicats et les collectifs Iade (lire notre article). Ce qui a mis le feu aux poudres ce mardi a été la décision du cabinet de Roselyne Bachelot, annoncée par téléphone pendant le début du parcours, de ne pas recevoir de délégation à l'issue de la manifestation, ont précisé plusieurs responsables syndicaux. Après quoi un changement de programme a été décidé: au lieu de se diriger vers l'avenue Duquesne, le cortège a foncé vers la gare, pour aussitôt occuper les rails.

Plusieurs dizaine de milliers de personnes sont donc restées bloquées sur les quais et dans les trains à l'approche de la capitale. Des conséquences assumées par les manifestants. «Je ne crois pas que nous soyions impopulaires, assure Marie-Ange Saget, présente sur place. Ce que nous voulons, c'est être entendus.» «Ici, nous avons un moyen de pression beaucoup plus important que dans la rue, face au ministère, estime Stéphanie, de l'HEGP. Sinon, on va arriver aux vacances sans avoir reçu d'engagements, et on aura tout perdu. Bachelot nous pousse à ça, nous sommes prêts à aller jusqu'au bout. Mais pour que nous, Iade, soyons reconnues, cela passera aussi par une reconnaissances des autres infirmières.» Nombre d'Iade présents dans le cortège appelaient donc les IDE, Ibode et puéricultrices à revendiquer à leurs côtés.

En attendant, hier soir, après l'évacuation des rails, le cortège s'est dirigé à nouveau vers le ministère. Et au vu des duvets et matelas apportés par certains manifestants, l'épreuve de force semble bien partie pour durer.

Nicolas Cochard

Photo: Lise Kipman

1- Signé dans son intégralité par le seul SNCH, pour les cadres.

Pour d'autres informations sur le mouvement des Iade, voir aussi le site Laryngo.com.

 



Discussions dans l'urgence


Pendant près d'une heure trente, ce mardi après-midi, une délégation du Syndicat national des infirmiers anesthésistes (SNIA), de la CGT et de Sud a été reçue en urgence par quatre représentants de la Direction générale de l'offre de soins non loin des voies ferrées occupées.

Une première réunion a été fixée au jeudi 3 juin pour aborder le contenu de la nouvelle maquette de formation qui doit être adoptée pour permettre la reconnaissance du diplôme au niveau master, a-t-on indiqué au ministère de la Santé. Deux dates de réunion avaient déjà été fixées, pour le lundi 5 juillet et le mardi 21 septembre.

Les représentants de la DGOS ont réitéré les propositions faites et les engagements pris le 10 mai lors d'une réunion entre les représentants syndicaux et le cabinet de la ministre de la santé, Roselyne Bachelot.

La DGOS a réaffirmé que l'objectif du ministère était de parvenir d'ici le 31 décembre à une reconnaissance du diplôme d'Iade au niveau master. Ce qui nécessite de renforcer la formation initiale des Iade par des contenus théoriques, en plus des périodes de stage qui existent actuellement.

Le ministère de la Santé souhaite que le syndicat fasse des propositions pour la future maquette. Une revalorisation salariale aura lieu en 2011 si la reconnaissance au niveau master a abouti, ajoute-t-on au ministère de la santé.

Les représentants de la DGOS ont également réaffirmé que l'exclusivité d'exercice des Iade ne serait pas remise en cause, comme indiqué le 10 mai.

(Avec APM)

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