I Soubelet
Née à Strasbourg en 1984, formée au graphisme et passionnée de bande-dessinée depuis son enfance, Lili Sohn s’installe à Montréal au Québec en 2009. À 29 ans, on lui diagnostique un cancer précoce du sein. Elle décide alors de créer un blog dessiné, Tchao Gunther, pour raconter son quotidien. De retour en France en 2015, elle s’installe à Marseille où elle multiplie avec énergie la réalisation de livres, podcasts et conférences.
Je dessine depuis toujours et j’ai passé beaucoup de temps dans mon enfance dans les bibliothèques où ma mère était bénévole. Quand j’ai entendu le diagnostic de mon cancer, j’ai débranché mon cerveau. Je me suis demandé pourquoi moi ? Tu reçois des tonnes d’informations qu’il faut comprendre et assimiler. Et puis il faut gérer toutes tes émotions mais aussi celles des autres. J’ai donc décidé de créer un blog dessiné, Tchao Gunther, qui racontait mon quotidien de jeune femme atteinte d’un cancer du sein. C’était aussi une façon de donner des nouvelles à mes proches en France.
Votre blog a touché beaucoup de monde, comment l’expliquez-vous ?J’ai toujours eu besoin de comprendre. Donc j’expliquais tout : ce qu’était une biopsie, une IRM, les étapes de la chimiothérapie, la reconstruction mammaire… avec à chaque fois mon ressenti. C’était un peu l’expérience patient avec les émotions en plus. J’ai ainsi très vite reçu des témoignages de femmes du monde entier qui se reconnaissaient dans ce que je racontais. Le blog a été repéré et j’ai été contactée par une maison d’édition ce qui a donné lieu à « La Guerre des tétons », un livre (1) en trois volumes. De son côté, le corps médical était également intéressé car le contenu était très pédagogique. Il était parlant pour d’autres patientes, pour les aider à comprendre et faire passer les messages. Pour moi, c’était aussi une manière d’être utile. Quand tu ne travailles pas, il est difficile de continuer à exister, tu perds ton rôle social. Donc le blog m’a permis d’avoir un statut social tout en étant atteinte d’un cancer. C’est important. Je faisais tout à mon rythme en suivant le protocole (ablation des deux seins, chimiothérapie, pause de prothèses mammaires…). J’ai été sollicitée par des hôpitaux, j’ai participé à une conférence sur la reconstruction mammaire où je faisais les dessins. Cela me permettait de mieux comprendre, une fois encore. Pour moi, c’était idéal, c’était aussi une manière de me rassurer. Car tu passes forcément par des périodes difficiles. Il faut le dire et ne pas le nier.
Depuis votre retour à Marseille en 2015, vous avez enchainé les projets ?À mon arrivée, j’ai d’abord été suivie à l’Institut Paoli Calmette pour refaire ma reconstruction mammaire pour les deux seins suite à une infection. Je suis tombée sur une équipe d’une grande humanité. Puis, j’ai enchaîné les projets professionnels notamment une série (2) de vidéos « Chuis pas docteur » pour l’Institut Curie. J’ai réalisé aussi de nombreux dessins en live pendant des conférences avec toujours comme objectif de parler de la santé, des maladies et des traitements. La maladie fait partie de moi. Puis je me suis intéressée aux sujets qui touchent la santé et le corps des femmes. Depuis Vagin Tonic sorti en 2018, j’ai signé chez Casterman et je fais de la bande-dessinée à temps plein. Plus récemment, je suis partie marcher seule, sans mon fils ni mon mec, pendant 45 jours entre Cahors où habitent mes parents et Compostelle. Alors que j’ai été très médicalisée, très jeune, cela m’a permis de refaire confiance à mon corps. Eh bien sûr, cela a donné un livre (3) ! En 2024, je vais sortir un nouveau livre chez Delcourt, qui raconte la petite histoire de mon immeuble à Marseille (2ème arrondissement) dans la grande histoire de la ville. Le 14 février prochain ce sera la date anniversaire des dix ans de l’annonce de mon cancer. Une date que je ne vais pas oublier !
(1) Livre édité en trois volumes (Extermination, Invasion, Mutation), Éd Michel Lafon (2014-2016)
(2) https://curie.fr/actualite/cancers-du-sein/chuis-pas-docteur-le-cancer-explique-tous-par-lili-sohn
(3) Partir, sur les chemins de Compostelle, Éd. Carsterman.
Son blog : https://lilisohn.com/blog
Ses publications : https://lilisohn.com/publications