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L’article 43 du PLFSS prévoit de prolonger l’expérimentation sur les salles de consommation à moindre risque et d’intégrer le dispositif dans les Caarud. Une bonne nouvelle pour la Fédération Addiction* qui regrette cependant la frilosité des pouvoirs publics. Le point avec Nathalie Latour, sa déléguée générale, alors que le documentaire « Ici je vais pas mourir » sort au cinéma.
Comment réagissez-vous à la proposition de prolonger l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque (SCMR) ?
Nous regrettons de devoir repartir sur une expérimentation ! On avait dit, à Paris en 2016, quand la salle a été ouverte, qu’on était déjà en retard. On n’était déjà pas au niveau de ce qu’il fallait faire. Il s’agissait uniquement de salles d’injection alors qu’il y a aussi un problème d’inhalation avec le crack. On nous a répondu qu’il ne fallait pas engorger la salle de Paris. Ce qui est plutôt vrai. Mais du coup, il aurait fallu d’entrée de jeu mettre en place plein de points d’accueil dans Paris, mixer de petits lieux avec d’autres plus importants, comme cela se fait dans toutes les autres villes d’Europe dès le départ. Nous sommes en 2021 et, à Paris, toujours pas de nouveau lieu. On nous dit que ça ne fonctionne pas. Mais c’est parce qu’on ne va pas au bout du processus !
La possibilité d’ouvrir des espaces de consommation dans les Caarud et l’adoption d’un nouveau nom « Haltes soin addiction » vous semblent-ils aller dans la bonne direction ?
Le fait de pouvoir élargir avec la dimension « Haltes soin addiction » – le nom de salle de shoot étant très réducteur – est bienvenu. Tout comme le fait de pouvoir déployer des approches intégrées, globales, et accompagner des personnes dans des dispositifs mobiles ou dans des structures telles que les Caarud (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues). C’est ce que l’on demande depuis 2016 ! Les Caarud assurent un accueil inconditionnel et sont ensuite à même de proposer un accompagnement multidisciplinaire.
On caricature souvent la question de la réduction des risques ou de l’addiction, comme si la seule réponse qu’on avait était celle d’accompagner la consommation de drogues. L’accueil ne se résume bien évidemment pas du tout à l’usage de substances. On a toute la palette de réponses : accompagnement sanitaire avec possibilité d’accéder à des services sanitaires (consultations avec un médecin ou une infirmière, orientation vers des services d’addictologie…) et sociaux.
Une étude de l’Inserm sortie en mai dernier abonde pourtant dans votre sens et montre les effets bénéfiques des salles de consommation à moindre risque… Pourquoi tant de frilosité ?
C’est l’éternelle histoire de la réduction des risques qui, malgré ses nombreuses évaluations scientifiques positives, doit constamment faire preuve de son acceptabilité politique. Quand vous êtes dans une structure de cancérologie ou de diabétologie, personne ne va aller dire que le protocole de tel établissement n’est pas du tout le bon. Dans le domaine des addictions, on a des protocoles de soins, d’accompagnement, on n’est pas des joyeux lurons qui faisons les choses un peu comme ça, en l’air. Il faut simplement permettre aux personnes d’exercer leur métier dans les meilleures conditions possibles pour atteindre l’objectif de santé publique dont l’évaluation de l’Inserm a montré les bénéfices et la nécessité. Et d’apaiser aussi, sur un autre volet, la question de la sécurité publique. Mais vous pouvez créer tous les dispositifs, si à un moment dans la gouvernance de la politique publique on n’est pas capable de mettre autour de la table un préfet de police, une agence régionale de santé, un procureur, des associations de soins et intervenants de santé pour essayer de résoudre ensemble le problème, ça ne marche pas. Il faut des réponses combinées. Tout ça nécessite un dialogue et un pilotage concerté d’un plan. On n’y arrive pas encore.
Qu’apporte la diffusion au cinéma, depuis le 20 octobre, du documentaire Ici je vais pas mourir ?
Dans la nouvelle nomination « Haltes soin addiction », on peut regretter que la question de la réduction des risques soit toujours gommée. Dans ce film, ce sont les premiers concernés qui s’expriment et ils utilisent souvent le mot « halte ». Ça m’a beaucoup marqué. Le fait de se poser diminue plein de choses, comme le craving, cette pulsion de consommer, cela permet de maintenir ce lien, moins consommer, davantage se stabiliser. C’est comme ça qu’on tisse un accompagnement de longue durée, qu’on évite les débordements dans les lieux publics. Ce film, ce sont des histoires de vie et il en dévoile l’humanité.
Propos recueillis par Thomas Laborde
* La Fédération Addiction réseau fédère des dispositifs et des professionnels pour une approche médico-psycho-sociale et transdisciplinaire des addictions. Elle regroupe 190 associations, 850 établissements et services des domaines de la santé, du soin, de l’éducation, de la prévention, notamment les Csapa (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) et les Caarud (centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues).
Pour aller plus loin
- Institut de santé publique de l’Inserm, « Salles de consommation à moindre risque en France : rapport scientifique », mai 2021.
- Laborde T., « En immersion dans la “salle de shoot” de Paris », Espaceinfirmier, 29 mars 2021.
- Raynal F., « Infirmière en Csapa. Ces accros aux addicts », L’infirmière magazine, n° 378, janvier 2017.
- Raynal F., « Infirmière en Caarud, l’oreille des addictions », n° 369, mars 2016.
- Ici je vais pas mourir, de Cécile Dumas et Edie Laconi, en salles depuis le 20 octobre 2021.