Les « journées » de 24 heures perdurent et les 12 heures ont de nombreux adeptes, selon une enquête menée en Ile-de-France par l'Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux, présentée début avril. Les explications de Marie-Cécile Mocellin, DRH du CH Sainte-Anne (Paris).
Espaceinfirmier.com : Selon l'enquête, menée en décembre 2012 et janvier 2013, 18 % des établissements ont rapporté avoir des organisations de travail en 24 heures. Pourquoi perdurent-elles alors qu'elles sont contraires à la réglementation ?
Marie-Cécile Mocellin : Un décret de 2002 prévoit que la durée maximale quotidienne de travail est de 9 heures pour les équipes de jour et de 10 heures pour les équipes de nuit. On peut porter cette durée à 12 heures, à titre dérogatoire et après avis du comité technique d'établissement. 9 établissements sur 49 (1) ont rapporté avoir encore des organisations en 24 heures. Cela concerne des catégories de personnels bien précises : les Iade, les Ibode, les sages-femmes, les techniciens de laboratoires et les manipulateurs radio.
Nous n'avons pas demandé aux établissements pourquoi cette organisation non réglementaire est maintenue mais il y a sans doute deux facteurs. D'abord, une difficulté rencontrée par la direction pour réorganiser les services. C'est un important changement. Il y a souvent une raison de continuité de prise en charge du patient qui est avancée. Le deuxième facteur, c'est la résistance de certains personnels. L'organisation en 24 heures leur permet de venir travailler une journée la première semaine et deux la semaine suivante. Il s'agit de catégories de personnels qui ont de lourdes responsabilités. Il faut donc être vigilant.
71 % des établissements fonctionnent avec des journées de 12 heures. Est-ce une organisation qui se développe ?
Il s'agit d'une organisation en vigueur dans 35 établissements sur 49 mais ce n'est pas la seule : il peut y avoir aussi des nuits de 10 heures ou des journées de 7 h 30 - c'est, d'ailleurs, l'organisation majoritaire en journée. L'enquête ne mesure pas la tendance, il s'agit d'une photographie. Mais oui, l'organisation en 12 heures se développe. Les deux secteurs d'activités les plus concernés sont la médecine-chirurgie-obstétrique d'une part, les soins de longue durée et les Ehpad d'autre part. Dans une moindre mesure, il y a les soins de suite et de réadaptation et la psychiatrie.
Comment s'explique ce succès ?
C'est une organisation qui pose beaucoup de questions. Les avis sont très nuancés.
Lors du colloque de l'Adrhess, l'École des hautes études en santé publique (EHESP) a présenté une étude menée en 2011 auprès de huit établissements. Ils ont interrogé les professionnels de terrain sur les points positifs et négatifs des 12 heures.
En ce qui concerne la prise en charge du patient, ils ont évoqué un meilleur suivi, un sentiment d'autonomie accru et une meilleure collaboration entre le personnel médical et non médical. Les points négatifs sont : une diminution du temps de transmission, une moindre cohésion de l'équipe, des risques d'erreur et de perte de vigilance et un temps de réapprentissage plus important dû aux jours de repos consécutifs plus nombreux.
En termes d'articulation vie privée-vie professionnelle, les points positifs sont : la diminution du nombre de jours travaillés et l'augmentation du nombre de repos, plus de disponibilité pour la famille, moins de déplacements, moins de frais de garde des enfants et la possibilité de cumuler une activité. Ce sont surtout les personnels de nuit qui sont impactés négativement car, quand ils sont à 12 heures, ils commencent à 19 heures au lieu de 21 heures. Quand on sait que certains établissements ont du mal à recruter du personnel de nuit...
Enfin, l'impact sur la santé des agents est positif car ils ont plus de temps pour eux mais également négatif car il y a une fatigabilité physique et psychique plus importante.
Est-ce devenu un critère d'attractivité pour les établissements ?
Les jeunes professionnels qui postulent à des postes dans nos établissements nous questionnent très régulièrement sur les 12 heures, qui permettent de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. L'organisation est séduisante, à court terme. C'est sans doute une solution, mais pas la solution. Certains établissements qui sont plus avancés dans le déploiement des 12 heures ont affirmé qu'il leur semblait difficilement concevable de les généraliser à tous les secteurs car elles ne conviennent pas toujours à l'activité du service et aux différentes disciplines. Ni à tous les personnels, notamment les salariés plus âgés ou en situation de restriction d'aptitude ou de handicap. En cas de projet de mise en place d'une organisation en 12 heures, ils ont souligné la nécessité d'une concertation avec le personnel concerné, les partenaires sociaux et les conseils de pôle, ainsi que la possibilité d'expérimenter cette organisation et de revenir dessus si besoin.
Propos recueillis par Aveline Marques
1- Hors AP-HP, qui n'a pas répondu à l'enquête.